Ce film de Kristoffer Borgli est à bien des égards sidérant. Nous cherchons dans notre mémoire quand une œuvre a pu nous marquer ainsi, paraître à ce point furieux, dément, impénitent, et radicalement dingue.


Lars Von Trier avec ses Idiots avait ce don d’insolence rauque, ce ton qui renverse toutes les bienséances et s’avance en zone dangereuse, rocailleuse et moqueuse.


Un couple très narcissique Thomas artiste design médiocre et Signe sa femme serveuse (que l’on prend pour sa petite sœur tant il la délaisse) sont à l’image de l’époque, obsédés par la mise en scène permanente de soi. Je me selfie donc j’existe.


Le Chant de Signe

Signe ( Kristine Kujath Thorp) est en mal de notoriété. Elle cherche à être prise en considération par tous les moyens et va trouver le stratagème le plus étrange: se rendre malade en ingurgitant à haute dose un médicament interdit qui provoque des éruptions cutanées sévères.


Le film suit ce processus de défiguration et d'addiction à un cadavre d’époque: le narcissisme et ses outrances, puis l’extravertit avec une cruauté cynique.


Trois scènes puissantes sertissent la mise en scène en crescendo portée par une actrice stupéfiante Kristine Kujath Thorp: celle où un médecin joué par l’excellent Anders Danielsen vient discréditer Signe et nous signaler-si nous ne l’avions saisi-sa démence. Il le fait avec une sobriété corrosive et une froideur métallique qui nous ramènent au principe de réalité que le film tord sans cesse dans ses caricatures à charge spectaculaires. On comprend à cet instant que Sick of myself est un grand film sur une mythomane borderline, un grand film sur une névrose narcissique hyperbolique. Davantage qu’une satire sociale cinglante. Puis vient une scène de groupe de parole où rien n’est attendu, où le climat instauré par le metteur en scène nous met aux aguets quant à ce qui va être dit. La virtuosité dans Sick of myself est cette tension permanente, cette exacerbation des comportements névrotiques traités de manière non-névrotique avec la clinique de Haneke. C’est cela qui est vigoureux et tranchant, une déshinibition et sécheresse d’angle, une montée en puissance dans l’horreur et l’inimaginable. Entre l’elevated horror et la clinique sociologique lorgnant vers Thé Square de son compatriote Ruben Ostlünd , la 3eme scène jouxte la monstruosité et facticité lors d’un shooting de mannequinat spécialisée dans les freaks.


Sick of myself ausculte avec une dureté sophistiquée et au scalpel Nietzschéen un monde d'influençeurs où les Dieux sont bien morts, les valeurs du ressentiment ou de la culpabilité sont dépassées, remplacés par l’avidité, la jouissance de soi et de l’abject, le culte du néant et du béant élevés en créatures infâmes et désirables.


Sick of myself est un film sensationnel. Par le choc des images qu’il produit et les questionnements philosophiques qu'il nous somme d'avoir sur le pire ou le site de soi.

VioletteVillard1
10

Créée

le 2 juin 2023

Critique lue 367 fois

8 j'aime

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8

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