Nombreux sont les aficionados de Moonlight qui attendaient Barry Jenkins au tournant après une telle réussite. Le réalisateur oscarisé continue sa percée dans le cinéma américain avec un second film où il se place une nouvelle fois porte parole d’une communauté à laquelle il appartient. If Beale Street Could Talk plonge le public dans le récit de James Baldwin et propose une merveilleuse romance sur fond d’injustice.
Nul doute que Barry Jenkins est désormais installé comme l’un des grands cinéastes actuels capable de filmer la poésie amoureuse à la perfection. Que ce soit dans son film précédent ou ici, la grâce et l’élégance avec lesquelles il insère l’alchimie de deux êtres dans son récit, est fascinante. La fusion des acteurs d’un regard amoureux à une scène plus intime reste enivrante par leur connexion mais surtout par le travail incroyable de James Laxton, déjà directeur de la photographie de Moonlight. Ce qui charme directement dans l’œuvre, c’est bel et bien les images aux couleurs pures mais chaleureuses, comme si le spectateur était également dans la bulle d’amour que les deux amoureux se construisent. Peu de dialogues existent au début, le charme passe par les regards, les gros plans où la passion traverse l’écran pour se glisser dans le cœur du spectateur. Le film aurait bien pu rester muet que le public serait resté aussi attentif à la suite, subjugué par la mise en scène qui fait tout le travail. Tout passe par les regards caméra, au début douteux, mais très vite attachants dans leurs apparitions, on rentre dans l’histoire. La caméra danse au rythme du jazz souvent présent en fond, et s’arrête de temps à autres devant les visages ébahis, émus des acteurs, dont on tente de saisir les émotions. Pour un premier long métrage, Kiki Layne reste en deçà de la performance que l’on attendait pour ce film mais les faux pas sont oubliés par l’ambiance générale terriblement séduisante et son partenaire Stephan James, dont la présence à l’écran, s’avère marquante.


La force de Si Beale Street pouvait parler, c’est son engagement politique noyé dans une belle romance. Jenkins se place en porte parole des afro-américains victimes constamment d’injustices aux États-Unis mais sans jamais faire du film, une œuvre militante ou contestataire. Le contexte, d’ailleurs non daté dans le film pour montrer son intemporalité, est la sombre toile de fond de cette histoire d’amour rayonnante. Relation mise à mal par une accusation de viol, dont on ne saura jamais l’issue véritable, et une peine de prison qui oblige leur passion à se vivre seulement à travers la vitre d’un parloir. Malgré la délicatesse avec laquelle le cinéaste dépeint leurs liens, tout n’est pas seulement doux dans le film. La dureté des abus policiers et judiciaires exposent des scènes insupportables et des dialogues douloureux, notamment lorsque Fonny retrouve son ami sortant de prison.


La lutte pour la dignité de son mari, Tish n’a pas la force de la mener seule, épuisée par sa grossesse. C’est ainsi que les seconds rôles entrent en scène et ce, dès le début du film où l’on aperçoit leur importance et surtout leur place subtilement créée par Jenkins. Regina King a d’ailleurs obtenu le Golden Globes pour son jeu, le 6 janvier dernier, et lorsque l’on voit la force avec laquelle elle joue, on ne peut que s’en réjouir et lui souhaiter le même scénario pour les Oscars en février. Des parents de Tish à ceux de Fonny, en passant par leurs sœurs, chacun a son mot à dire sur son couple et son bébé. Des répliques jouissives amusent le public au début du film pour finalement proposer un fond plus touchant avec la place accordée aux parents de Tish, et au père de Fonny, le seul à se battre pour son fils dans la famille du jeune homme. D’un voyage au Porto Rico de la mère de Tish aux plans illégaux des deux pères, frères de combat, les liens familiaux sont ici d’une telle beauté que leur présence vient ajouter au film une énième petite étincelle. Éclat sublimé par les couleurs toujours chaudes, qui prennent tout leur sens ici et enferment l’histoire et l’amour dans un cercle protégé et bienveillant, le cadre familial. L’amour, qu’il soit familial ou romantique, est toujours plus fort que tout dans le cinéma de Barry Jenkins.


Les Oscars ont bien eu tort de se priver d’un tel film pour leur cérémonie. Le réalisateur offre un peu d’amour pur et sincère avec une grande délicatesse que la musique parvient toujours à faire valser. Avec Green Book et The Hate U Give, la ségrégation contemporaine est bien contestée au cinéma en ce moment et l’on ne va pas s’en plaindre car tous réussissent, à leur manière, à contrer l’Amérique de Trump.


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le 24 févr. 2019

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