Cela fait déjà quelques années que j’ai pu découvrir Shutter Island. Une époque où le cinéma était encore pour moi une source de divertissement occasionnel, ce qui ne m’avait pas empêché d’être tout de même bien secoué par le film de Martin Scorsese. C’est donc avec un souvenir assez tari que j’ai retrouvé cette île pleine de mystères, pour un nouveau plongeon dans un océan de traumatismes.


Un bateau s’approche d’une île. A son bord, deux enquêteurs, qui viennent investiguer sur une mystérieuse affaire qui concerne l’hôpital psychiatrique situé sur l’île. Malgré leur assurance, les enquêteurs sont, comme nous, plein de questions en tête. Avec ce début d’intrigue, Martin Scorsese semble dessiner les contours d’un polar, à l’image du roman qu’il adapte ici. Un polar aux accents retro, mais qui va vite virer au thriller pour prendre une toute autre dimension. Car, rapidement, le piège qui ne semblait pas forcément visible à première vue, va se refermer sur le marshall Edward Daniels (Leonardo DiCaprio), et aussi sur le spectateur.


Ce qui fait, sans aucun doute, en grande partie la réputation de Shutter Island, c’est la complexité de son intrigue, tortueuse à souhait, qui parvient sans cesse à égarer le spectateur quand il commence à peine à retrouver ses repères et à s’orienter. Dans Shutter Island, le doute est permanent, ce qui se déroule devant nos yeux mêle souvent illusions et réalités, car le film gomme souvent les frontières entre réel et imaginaire, et alterne entre le monde extérieur et la conscience d’Edward Daniels. Petit à petit, l’intrigue et l’enquête passent au second plan pour offrir au spectateur une illustration de l’évolution de l’état de la conscience du personnage joué par Leonardo DiCaprio pour, au-delà de raconter ses tourments, de les faire directement vivre au spectateur.


C’est l’un des principaux intérêts du cinéma, et ce qui caractérise les grands films. Simplement raconter des faits et décrire des émotions induit souvent le maintien d’une certaine distance entre le film et le spectateur, mais Shutter Island l’annule et met à profit le montage et la mise en scène pour réellement illustrer ce que le scénario contient et cherche à exprimer. Scorsese ne lésine pas sur les effets, que l’on pourrait trouver assez grandiloquents mais qui ne manquent pas d’être saisissants et éloquents. Car si l’intrigue est tortueuse, l’ambiance et les éléments qui la composent ne mentent pas.


Les orages, l’exploration du bâtiment C, les flashbacks, tous ces éléments illustrent le conflit intérieur qui habite Edward, un conflit tel qu’il a mené sa personnalité à se dédoubler, séparant ses deux facettes. Le deuil provoqué par la mort de ses enfants et de sa femme, et la culpabilité de n’avoir su être là pour les protéger l’ont plongé dans le regret et la solitude, le rendant impuissant face à la situation, et emprisonné dans une vie qui n’en est plus vraiment une. Ce labyrinthe mène finalement à un twist qui surprend une dernière fois le spectateur, mais qui a pour principale qualité de s’intégrer dans la logique suivie par l’intrigue, et non pas juste de jeter des paillettes dans les yeux du spectateur pour le conquérir de manière malhonnête.


Lointain descendant du Cabinet du Docteur Caligari, Shutter Island nous égare dans un labyrinthe mental hypnotisant et prenant. Le deuil, le traumatisme et la culpabilité sont ici représentés avec beauté et horreur. C’est un très bon exemple d’une mise en scène évocatrice mise au service d’un scénario intéressant et intelligent, d’un cinéma qui ne raconte pas qu’avec des mots, mais aussi avec des images et des situations, pour faire vivre des émotions au spectateur. A la fin, des questions demeurent toujours, tant le film nous a égarés. Shutter Island est fait pour être vu à plusieurs reprises pour tenter de le cerner un peu plus, de capter les détails qui nous ont échappés. Pour ne rien gâcher, Leonardo DiCaprio nous gratifie d’une de ses plus grandes prestations, pour compléter un tableau sombre, torturé, captivant et saisissant.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

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le 8 oct. 2019

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