La critique dévoile la fin du film car il est impossible de l'analyser sans sa fin – à prendre en considération…
Jeff Nichols semble s'être imposé depuis une décennie comme le fer de lance d'une relève dans le cinéma indépendant américain du XXIe siècle. En 2018, se fête donc les 10 ans de la sortie française de son tout premier long-métrage, occasion de revenir sur les balbutiements d'un cinéaste de renouveau dans le paysage américain.
Kid, Son et Boy, une fratrie indésirée de leur défunt père, rentre en conflit avec l'autre famille fondée par ce même père après avoir profané son enterrement en crachant sur sa tombe. De ce postulat, Nichols tire une histoire simple à la réalisation référencée mais personnelle. Ainsi, Shotgun Stories s'annonce comme un héritier, prolongeant l'influence, de Badlands, premier film, lui aussi, de Terence Malick. Cette influence se reflète dans la composition de cadre et la mise en avant des paysages de l'Arkansas, étouffés par le soleil faisant suer tout les personnages du film.
La composition de cadre de Nichols se calque sur la règle des tiers, travaillant pour placer chacun de ses personnages sur les points forts de notre écran, mettant ainsi sur un piédestal les ouvriers des Grandes Plaines américaines, conscient de leurs limites mais admiratif devant leur abnégation.
Kid, Boy et Son, pourtant remplis de haine devant l'abandon de leur père, prennent pour patronyme les expressions avec lesquelles les parents appellent leurs enfants. Leurs noms sont ainsi, à l'image du film, placés sous le signe de l'unité familiale, certes plus fraternelle que paternelle.
Revient alors, par rapport aux deux fratries ennemies, une symétrie, mettant en avant les similitudes entre chaque personnages, pourtant en conflit. 2 chiens, 2 pick-up, 2 véhicules en panne qu'il faut réparer, 2 morts et 2 rapports aux armes particuliers, par leurs profusions chez les antagonistes et l'importance de leur absence chez les protagonistes. Cette symétrie et ces notions de protagonistes/antagonistes soulignent la futilité du choix de "qui nous suivons?". Que Nichols nous ai mis chez les abandonnés plutôt que chez les chéris n'a aucune importance, tant il est possible de développer de l'attachement pour les deux familles. Jamais manichéen, le film nous confronte aux problèmes de tous et toutes, accentuant la volonté réaliste du film, volonté complétée par la réalisation terre-à-terre, toujours à hauteur de personnages, les noyant ou élevant selon leur situation.
Cette humanité rend le film touchant au possible et rend l'attachement aux trois protagonistes total. Mais les faiblesses d'un premier scénario et d'une première réalisation, présentes dans le cas de Jeff Nichols, appuient maladroitement sur certains points, si bien que lorsque Kid nous racontent ses appréhensions quant à son mariage, il apparaît obligé que, par la suite, il lui arrivera malheur. Dans ces quelques petites erreurs s'incarnent les balbutiements dont pâtissent habituellement les premières productions de réalisateurs, comme le Reservoir Dogs de Tarantino ou le Following de Nolan, les erreurs font parties du charme de ce film.
Shotgun Stories, titre mensonger s'il en est, car si il renvoie, dans le film, aux spéculations concernant les cicatrices de Son, renvoie également aux rapports aux armes à feu des deux familles. Nichols prétend que les histoires, aux États-Unis, sont racontées par les armes. C'est ce que l'on peut croire pendant 90% du long-métrage. Mais Nichols change violemment de direction à la fin, pour s'orienter vers une fin pacifiste, questionnant le cinéma américain sur son rapport à la violence et surtout, à la vengeance.
La violence et la vengeance ont toujours étés deux notions capitales du cinéma américain, subissant multiples évolutions au fil des générations, passant d'une violence nécessitant une justification dans les années 50 jusqu'à la sacralisation de la violence gratuite par le Nouvel Hollywood des années 70, ramenant l'homme à son côté bestial et mobilisant toutes les technologies cinématographiques (notamment le montage) pour faire passer son message, rompant tout les codes moraux des générations passées, pro-Reagan et Vietnam. Le cinéma américain actuel, dans l'indépendant comme dans le blockbusteresque, jongle avec cet héritage, laissant toujours une place importante à la violence et à la vengeance (John Wick, Mad Max: Fury Road, A Beautiful Day ou encore Elephant de Gus Van Sant). Mais Nichols, dans son Shotgun Stories avec sa fin pacifiste, renverse les codes que le cinéma américain s'est appropriés en finissant sur une image simple, touchante, des deux frères restants sous leur porche, sirotant une bière. Cette fin culpabilise le spectateur et nous accuse de trouver cette fin décevante, tout le film laissant entrevoir un final explosif à base d'effusion de sang et de vengeance sublimée par la réalisation de Nichols. Mais non, le spectateur, déçu, se retrouve moqué par Nichols, dans une fin cynique et incriminante, comme un plaidoyer juridique d'un avocat pacifiste... A travers un si petit film, Nichols se permet de juger son spectateur évitant le préjudice de le brosser dans le sens du poil, tour de force pour un premier long-métrage.