Pensant lancer un Western, difficile de ne pas être étonné face à un film qui prend autant ce genre à contre-pied. Dès les premières secondes, un plan général d’une plaine nous est montré, la caméra descend et nous fait découvrir de manière graduée, un homme, de ses santiags à son chapeau, avec un son de vent, ponctué d’un air de guitare qui accompagne ce silence. Cette entrée en scène, c’est un condensé de stéréotypes exagérés à l’extrême du genre. Ce silence est très vite interrompu par des avions qui passent. Au loin, la ville. Ce film n’est pas un western.

John Burns, incarné par Kirk Douglas, est la personnification de la nostalgie d’une époque. Dans ce monde en plein essor technologique, cet homme n’est pas à l’aise, allant jusqu’à renier la modernité. Il aime Jerri, interprété par la ravissante et talentueuse Gena Rowland. Il se refuse de vivre avec elle pour ne pas la priver de sa liberté, elle qui s’adapte au modernisme. Il vit donc accompagné de sa jument, à l’écart du monde. En plus d’être un moyen pour lui de se déplacer, elle est le seule être qui l’empêche de sombrer dans une profonde solitude.

Il est encore un homme de l’ouest qui défend ses libertés personnelles. C’est le dernier représentant d’un monde, du sien. Il tente de faire survivre une époque entière à travers lui, mais le monde auquel il résiste est plus puissant et écrase tout sur son passage. Que pouvons-nous face au progrès ?

John Burns tentera de libérer son ami de prison, et donc à se mesurer à l’invincibilité du progrès. Après avoir organisé une bagarre dans un bar et violenté un agent de l’ordre, il se retrouve au trou, et en quelques minutes, le film nous offre une belle leçon de fatalisme. Son ami ne veut pas sortir de prison, pensant qu’il mérite sa peine, ayant fauté. Et là, deux visions s’opposent. Celle d’un homme, John, qui n’a pas suivi les règles de la société et qui en a que faire de ces dernières, et son ami, qui lui s’est pris au jeu de la société, aliéné par les normes que l’Amérique moderne lui a imposé.

Il repart donc seul de cette prison qui métaphorise le pays dans lequel ils se trouvent. Un désespoir nait, le destin semble en avoir décidé autrement pour ce cowboy. La police se rendant compte de sa fuite, le traque. La conception du personnage du shérif contraste avec l’archétype qu’on pourrait s’en faire. Un homme prisonnier de la société qui traque parce qu’il le doit, mais qui a de vrais idéaux. Il peut penser par soi-même, mais il en est contraint. Il n’est pas un antagoniste en soit, mais une incarnation d’un antagonisme : celle de l’ordre suprême, de la société elle-même.

Lorsque John traverse la route à dos de son cheval, il ne fait preuve d’aucune imprudence, et les regards jugeurs viennent dessiner l’opposition entre les valeurs des deux partis, l’un naissant, l’autre mourant. Il a l’impression que rien ne peut l’arrêter, que ses valeurs archaïques l’emporteront toujours.

La traque se passe dans des paysages rappelant le Far West, cette dernière évoque-t-elle la fin définitive d’une époque ? L’inverse semble chose compliquer, désormais. La traque, pour John, ressemble à une marche funèbre, la mort, représentée par l’hélicoptère, se rapproche, au fur & à mesure que notre héro s’engouffre dans les terres.

Le désespoir est si fort, que John a penser à abandonner son cheval pour survivre, ce dernier lui faisant perdre trop de temps, l’handicapant fortement. Le fait, pour John, de ne serait-ce qu’un instant, songer à l’abandon de sa moitié, de sa jument, symbole d’une époque entière, est terriblement triste. La société a presque réussi à le faire rejoindre la modernité. Presque, car il n’a fait que songer à cet abandon, il décide de ne pas l’abandonner, de continuer avec elle, quelqu’en soit le prix. La contemporanéité du monde s’abat progressivement sur le peu d’archaïsme qu’il restait au pays.

Et à la fin, que reste-t-il du monde de John ? Rien. La fin est profondément nihiliste, la modernité l’emporte et est caractérisé par un retour à la réalité frontale pour John. Le spectateur se souvient de cette dernière image, un chapeau de cowboy souillé par les trombes d’eau et par les voitures qui roulent, qui l’éclaboussent de crasse. Un symbolisme terrible pour tout fan de westerns.

La fin du western ai-je dit ? Ne serait-ce pas plutôt un nouveau commencement pour ce genre ?

Créée

le 29 nov. 2023

Critique lue 10 fois

Paul SAHAKIAN

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