Les films d'horreur animés sont extrêmement rares dans le cinéma occidental, principalement en raison du stéréotype séculaire voulant que les dessins animés soient destinés aux enfants, malgré quelques exceptions notables. Bien heureusement, le cinéma d'extrême-orient tend à fournir une plus grande variété de productions destinées à un public mature. Seoul Station, sorti quelques semaines seulement après le succès monstrueux de Dernier Train pour Busan, d'ores et déjà l'un des films asiatiques les plus aboutis de tous les temps, est une préquelle animée à plus petite échelle se déroulant dans le même univers (plutôt un compagnon en réalité, les deux films ayant été produits en même temps). Similaire dans son ton et son style aux deux précédents long-métrages animés de Yeon Sang-ho; The King of Pigs et The Fake, Seoul Station se profile comme une pierre bienvenue s'ajoutant à cet édifice plutôt rare dans le monde de l'horreur.


Yeon Sang-ho a construit sa réputation avec des films d'animation matures marqués par des sujets non conventionnels. Seoul Station aborde un sujet plus familier pour le grand public, celui de l'apocalypse zombie. Dotée d'un ensemble de personnages originaux, l’histoire de ce film se déroule au tout début de l'épidémie présentée dans Dernier Train pour Busan, révélant la propagation du virus depuis le patient zéro jusqu'à l'ensemble de la population, à travers le système de transport de la capitale coréenne. Au fur et à mesure du déroulement de cette terrible nuit, nous observerons l'évolution de la pandémie du point de vue de plusieurs citoyens ordinaires de Séoul, forcés de s'entraider pour tenter de survivre au carnage ambiant qui se développe autour d'eux.


Yeon a eu la possibilité de développer tout un univers autour de cette histoire d'infestation, l'énorme succès de Last Train to Busan a en fait été précédé de ce film animé, qui fut lancé en premier sur le circuit des festivals, mais arriva dans les salles obscures après son grand frère. Malgré ce que le marketing de ces films peut suggérer, Seoul Station est bien plus qu'un simple complément de sa suite explosive à gros budget et se révèle même, à bien des égards, plus original et intéressant.


Faisons donc un arrêt du côté du synopsis:


Seoul Station suit les destins croisés d'une ancienne prostituée, Hae-sun (Shim Eun-kyung), qui se retrouve à la rue après une dispute avec son petit ami violent, Ki-woong (Lee Joon), de son père inquiet, Suk-gyu (Ryu Seong-ryong) et d'un vagabond désespéré (Jang Hyuk-jin) à travers une nuit chaotique. Alors qu'un virus mystérieux se répand comme une traînée de poudre au sein de la communauté des sans-abris de Séoul, aboutissant au final à une pandémie contaminant toute la ville. À mesure que le chaos s'instaure dans les rues, Hae-sun se voit embarquée dans une véritable lutte pour sa propre survie, dans le même temps, son père, parti à sa recherche, s'entend à contrecœur avec son petit ami pour tenter de la retrouver, tous devront résister à l'assaut des monstres durant une soirée cauchemardesque…


Une fille fugueuse, un père inquiet, un petit ami négligent, tels seront les éléments de départ de ce film, où les histoires sont gracieusement entrelacées, et où les gens normaux doivent se battre pour rester en vie, créant des liens inattendus à mesure que la population de morts-vivants se développe. En dépit de son cadre apocalyptique, il s'agit d'une histoire de survie axée sur les relations de ses personnages, le film se concentrant finalement beaucoup plus sur la façon dont ces personnes ordinaires s'organisent pour résister que sur les origines de l'épidémie elle-même. Les personnages de ce film se situent tous, chacun à leur manière, sur les échelons inférieurs de l'échelle sociale. La symbolique de ces personnalités marginalisées et sans espoir, rejetées par les services sociaux et plus tard mis en quarantaine par les militaires, résonne comme un écho des manifestations populaires ayant récemment eu lieu à Séoul.


Comme tous les meilleurs films d'horreur, les événements terribles qui se déroulent à l'écran ne sont qu'un symbole à travers lequel le cinéaste peut s'exprimer sur des problèmes sociaux importants. Après avoir abordé l'intimidation dans le système éducatif et la corruption dans les institutions religieuses dans ses précédents films, Yeon Sang-ho se concentre sur les préjugés classiques de la Corée, à savoir la misogynie ambiante, ainsi que la poigne de fer avec laquelle le gouvernement contrôle son armée.


Dans sa réalisation, Yeon emploie un certain nombre de traits bien connus dans le genre, comme les poursuites sur les toits, les barrages militaires et les blessures par morsure, sans toutefois parvenir à égaler l'enthousiasme énergétique de Dernier Train pour Busan. Seoul Station est un film qui cherche principalement à attaquer l'establishment du pays du matin calme et à condamner l'attitude des autorités, pour le traitement qu'elles réservent aux classes pauvres de la société coréenne, ce qui produit au final un mélange sombre et très bien exécuté de drames servant un discours plus grand et de film d'horreur extrêmement bien conçu et efficace.


Les connexions scénaristiques entre Seoul Station et Dernier Train pour Busan sont au final très superficielles, les deux films ne partageant que quelques thèmes communs et le réalisateur entre eux. Curieusement, Seoul Station se révèle posséder un ton beaucoup plus sombre que son alter-ego en live action, avec un accent bien plus important mis sur l'atmosphère lourde plutôt que sur l'action. Néanmoins, les deux films bénéficient tout de même de certaines caractéristiques qui pourraient donner lieu à diverses interprétations, la plus évidente étant que Seoul Station et Dernier Train pour Busan ne sont finalement qu'un seul et même film, raconté de deux points de vue différents.


Un élément surprenant de ce film se révèle être sa relative absence de violence crue pour privilégier une forme de violence plus psychologique. En somme, si vous vous attendez à une avalanche de gore pendant votre visionnage, vous risquez d'être déçu. Seoul Station se distingue principalement de par son commentaire social très bien traité sur les sans-abri vivant au milieu de notre société, et sur les zombies qu'ils finissent par devenir. La plupart d'entre eux sont mis de côté par l'état et essentiellement ignorés par le grand public. Le début de l'épidémie, illustré par une scène montrant un sans-abri essayant de demander de l'aide pour son ami infecté, démontre réellement le problème au spectateur de façon frontale. La tension imposée par cette séquence est terrible, car le fait d'être ignoré pour son statut social est une forme d'emprisonnement, et finalement, les personnes préférant se terrer dans leur ignorance en rejoignant les rangées de passagers de la station de métro finiront par creuser leur propre tombe. Personne dans cette société ne veut avoir affaire avec ces sans-abris, laissés pour compte et traités comme des monstres. Finalement, cette armée de zombies semblant sortir de nul part était là depuis le début, attendant simplement le moment propice pour se manifester.


Malgré son statut de préquelle de Dernier Train pour Busan, Seoul Station est un film se suffisant entièrement à lui-même. Comme le titre le laisse penser, les stations de train de la ville de Séoul servent ici d'épicentre à la propagation de l'infection du film. Cela dit, il s'agit de l'un des seuls points communs qu'il partagera avec sa suite. Yeon se concentre ici sur les personnes gravitant autour des stations de train de la ville, l'épidémie y commence alors que le récit se concentre sur un sans-abri âgé qui se réfugie à la gare de Séoul. La portée du film ne se développe jamais au-delà des quelques personnages sur lesquels Yeon choisit de se concentrer, en les suivant tout au long de cette nuit de cauchemar. Contrairement à ce que l’on peut observer dans Dernier Train pour Busan, la technologie cellulaire n'est pas un moyen d'obtenir de plus amples informations sur l'épidémie; Les héros ne communiquent qu'entre eux, et non avec le monde entier.


Seoul Station doit assumer la lourde tâche d'être reconnu dans deux domaines: D'une part, en parvenant à se détacher de son glorieux successeur direct; Deuxièmement, en justifiant son statut de film de zombie. Cette vision animée d'un Séoul zombifié se révèle par ailleurs moins rattachée aux conventions de la culture populaire sud-coréenne que ce à quoi on pourrait s'attendre. Yeon impose ses thèmes de façon claire et de manière créative sans même chercher à y intégrer des stars du cinéma coréen, même si Ryu Seung-ryong et Shim Eun-kyung, qui prêtent leur voix aux deux personnages principaux, sont susceptibles d'être familiers du grand public. Le film maintient un registre nihiliste tout au long de son récit, dont le final se révèle surprenant, particulièrement dans la façon dont il échappe aux clichés inhérents aux films du genre.


D'un point de vue technique, l'animation de Seoul Station est de qualité, mais elle n'est évidemment pas produite avec le budget d'un film des Studios Ghibli. Le graphisme en lui-même est plutôt surprenant, dans le sens où tout est excessivement ombragé. Yeon Sang-ho est un habitué de cette méthode assez inhabituelle qu'il utilise une nouvelle fois avec un résultat étrangement mitigé, susceptible de décontenancer la plupart des spectateurs non avertis. Ce mélange curieux d'éléments de 2D et de 3D demande un certain temps d'adaptation pour s'y s'habituer, en particulier à cause du frémissement particulier du dessin. La technologie d'ombrage cellulaire s'est certes améliorée depuis The King of Pigs et semble presque imiter le trait de crayon dans certains cas, mais le problème reste cependant que l'animation en elle-même n'est pas toujours à la hauteur de l'action. Particulièrement dans les regards et les mouvements ayant parfois une apparence cartoonesque, ce qui est paradoxal pour un film à l'ambiance aussi lourde. Cependant, les visuels de ce film présentent tout de même une variation intéressante; Plutôt horribles lorsque la narration le justifie, avec notamment quelques belles scènes de gore sanguinolentes à la clé, mais surtout beaux la plupart du temps, particulièrement dans la façon dont la ville de Séoul est présentée, offrant un certain charme urbain à l'ensemble, ainsi qu’une utilisation intelligente de l’espace de jeu.


L'élément le plus frustrant du film reste cependant son ton peut-être un poil trop sérieux. Les personnages humains y sont pathétiquement faibles, ce qui laisse peu de place à d'éventuelles séquences d'entertainement pur qui auraient pu agir comme une soupape de détente bienvenue. Au lieu de cela, on se concentrera principalement sur le message à faire passer, de façon parfois trop agressive pour être correctement assimilé.


On notera également ça et là quelques facilités scénaristiques héritées des clichés du film de zombie, comme lorsqu'on découvre soudainement un infecté parmi un groupe de survivants, mais il s'agit de détails inévitables avec un film de ce genre. Seoul Station est un film de zombie différent, qui tente de relever un véritable défi narratif, mais son plaidoyer social ainsi que sa mise en scène efficace en font tout de même un représentant digne du film zombie. Tout ce que l'on peut espérer aujourd'hui, c'est qu'avec le succès de Dernier Train pour Busan au box-office coréen, Seoul Station ne tombe pas dans l'oubli le plus total, et que Yeon Sang-ho n'abandonne pas totalement l'animation pour le cinéma en live-action.


Tout comme son compagnon, Seoul Station n'est pas réellement un film qui se démarquera grandement de la masse des films d'apocalypse zombie. La seule différence réelle est sa qualité globale exceptionnelle, ce qui est loin d'être anodin au vu de la valeur parfois douteuse des films de ce sous-genre, particulièrement en ce qui concerne la production de la dernière décennie, mais encore une fois, un film n'a pas nécessairement besoin de réinventer la roue pour être bon, et le divertissement qu'il procure se suffit clairement à lui-même. A l'exception notable d'une séquence quelque peu faiblarde vers la fin du récit, il s'agit d'un quasi sans-faute.


Dans l'ensemble, Seoul Station est un film de zombies soigneusement produit et très divertissant, tout en constituant un complément intéressant en forme de fausse préquelle à Dernier Train pour Busan, même s'il n'atteint jamais les mêmes sommets que ce dernier. Le style d'animation pourra certes rebuter certains spectateurs, mais son scénario convaincant et ses personnages réalistes méritent largement de passer outre ce détail. Au final, on tient là un film qui se profile comme une bouée de sauvetage salutaire au milieu d'une mer de films de zombies génériques, que demander de plus?

Schwitz
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le 13 mai 2017

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