Sentinelle Sud est une carte IGN gribouillée de bile noire. C'est tout autant une carte temporelle qui n'a pas d'images d'archives, pas de flash-back mais seulement des cicatrices à exposer au regard du monde qui détourne les yeux. C'est une carte géographique qui plonge dans les strates de l'intime où se noient les repères de la vie civile, les affres d'une enfance balafrée sans nulle autre famille que la DDASS. Cette carte humaine, moins tatouée que la peau de Michael Scofield n'en est pas moins marquée, traumatisée, ramifiée par des réseaux capillaires où le sang coule, s'échappe, s'enfuit, explose à la gueule de la société une nuit d'ivresse passée en boîte. Voilà le soldat Christian Lafayette (effarant Niels Schneider) de retour en France, dans cette Métropole où, les civils se tirent dans les pattes, reproduisent une guerre violente, plus sournoise, plus dégueulasse pour ces exilés du champ de bataille. On est au lendemain d'une embuscade meurtrière en Afghanistan. On n'en verra pas une seule image. Il faut vivre maintenant, quoiqu'il en coûte.


Portant le même nom qu'un célèbre officier de l'armée française qui était aussi surnommé "Le Héros des deux mondes", Christian Lafayette ne parvient justement pas à articuler ces deux mondes, celui de l'avant, d'un là-bas lointain où obéir évitait de se poser des questions existentielles et celui du maintenant, d'ici sans y être totalement. C'est dans ce monde d'ici, dans cette carte noire déboussolée où penser Nord et marcher Sud est fréquent, où dépasser les bornes est la règle, Christian Lafayette se retrouve mêlé à un trafic d'opium aux côtés de Mounir, frère d'armes blessé dans l'embuscade. S'il s'en est mieux sorti que les autres, Christian Lafayette reste un personnage troublé, affecté par la désorientation, c'est pourquoi il voue un profond respect pour les personnages tutélaires, ces marabouts de la lumière qui lui ouvre le chemin de la vie. Là-bas c'était son colonel, incarné par Denis Lavant qui semble de retour de Beau Travail, mais cette relation va s'effriter. Après avoir rendu très crédibles ses personnages notamment grâce à des dialogues acérés, Mathieu Gérault dont c'est le premier long-métrage, fait prendre à son récit le tournant de l'intrigue de genre, accostant vers le thriller, vers le polar américain des années 80 : braquage, scène de règlement de compte, intrigue douteuse qui s'inscrit pleinement dans le paysage français des supermarchés, des fermes à lait et des brebis galeuses. Pourtant, si la carte IGN est gribouillée de bile noire, si la carte temporelle n'éclaire que des cicatrices du passé, la carte géographique est celle de l'intime. Le réalisateur plonge dans les strates sédimenteuses de l'humanité où la quête du cœur est la seule qui vaille la peine d'être poursuivie, celle de l'amour à donner, celle de l'amour à recevoir. Posant toujours des questions justes, le film prend peut-être, cette question reste également à résoudre, le parti de renier les paroles écrites par Balavoine : et si être aimé était plus fort que d'aimer ?

thomaspouteau
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le 4 nov. 2021

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