Cinquante ans après le film d'Howard Hawks, Brian de Palma vient proposer sa version de l'histoire de Scarface. Considéré à juste titre comme un remake du premier film, il adapte son histoire dans un style différent, et dans un film devenu culte et connu de tous. Après des années d'ignorance sans avoir vu ce fameux film, il était temps de le rattraper. J'ai volontairement vu le premier film juste avant celui-ci, afin de mieux comprendre ce qui différencie les deux, et d'identifier la démarche de Brian de Palma dans son Scarface.


Nouvelle époque, nouveau contexte. Tony Camonte est devenu Tony Montana, un petit malfrat cubain extradé aux Etats-Unis et qui va devoir se construire une nouvelle vie. La Prohibition, dénoncée par Howard Hawks, a été abolie depuis bien longtemps, et ce n'est plus l'alcool que l'on distribue clandestinement dans des bars cachés ou que l'on convoie en secret, mais de la drogue qui voyage de pays en pays. L'angle d'attaque de Brian de Palma diffère de celui de Howard Hawks dans le traitement du personnage. Dans ce Scarface, on montre davantage l'ascension de ce jeune homme fauché et devenu apatride, qui va progressivement se faire une place dans le milieu et être à la tête d'un immense empire basé sur le trafic de drogue. Une ascension fulgurante doublée d'une terrible descente aux enfers qui correspondent parfaitement au cinéma de Brian de Palma.


La violence est omniprésente, les couleurs sont agressives, les dialogues cinglants. Brian de Palma fait la part belle aux excès, à la débauche pour créer un malaise ambiant dans cet environnement hostile propice aux trahisons et aux coups bas. Les gangsters chics des années 30 ont laissé place à des hommes d'affaire exubérants et délurés, mais, au fond, la situation a-t-elle vraiment changé ? Les discussions s'effectuent dans des arrière-boutiques ou dans des boîtes de nuit, et chacun envoie ses tueurs faire le sale boulot. Brian de Palma souhaite surtout mettre en scène un univers malsain, une ambiance, en jouant notamment sur les couleurs, comme il a pu le faire dans ses précédents films Phantom of the Paradise et Carrie au bal du diable. Mais, étonnamment, l'élément semblant le plus mesuré dans tout ce système, c'est Tony, ayant conduit ses affaires avec détermination et justice, jusqu'à ce que la drogue et la soif de pouvoir et d'argent le corrompent à son tour, dans la mise en scène d'une inéluctable chute.


Alors qu'Howard Hawks mettait le gouvernement face à ses propres responsabilités vis-à-vis du maintient de la Prohibition, Brian de Palma expose un monde souterrain et nocturne régi par les milliards de profit remportés grâce au trafic de drogue. Le drogue est devenue le mal de notre époque, et son emprise a pris une ampleur colossale qui semble irrésistible et impossible à stopper. En construisant son self-made man, Brian de Palma montre une success story, mais va au bout de sa démarche en multipliant les excès, et en faisant aller Tony Montana jusqu'à l'overdose et aux erreurs qui lui seront fatales.


Ainsi réactualisé, Scarface prend une autre tournure, en suivant les codes de son époque et en prenant un ton différent. Les temps ont changé, et les gangsters ont changé avec. Comme à son habitude, Brian de Palma n'est pas avare en violence, tant physique que psychologique et verbale. Al Pacino s'en donne à cœur joie dans ce rôle qui l'a sans aucun doute érigé au statut de légende et qui lui colle aujourd'hui à la peau. Déluge d'excès et de sales combines, Scarface montre l'étendue d'un système international qui n'a, aujourd'hui, rien perdu de sa puissance, et qui oeuvre toujours autant dans l'ombre. S'il faut jouer au jeu des comparaisons, il faut commencer par reconnaître que les deux versions de Scarface méritent le visionnage, chacune offrant un regard intéressant sur deux époques différentes. Et s'il faut choisir entre les deux, je prendrai probablement celle de 1932, non pas pour jouer les puristes, mais car, l'ayant vue en premier, elle constitue ma référence et, surtout, car j'affectionne particulièrement les films de gangsters d'époque, et les films sur la Prohibition. Toutefois, pour conclure, aucune objection pour reconnaître le fait que Scarface mérite son statut de film culte.

JKDZ29

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