Le Maghreb, tel qu’imaginé et fantasmé par beaucoup de monde, est un territoire peuplé de fanatiques religieux islamistes prêt à envahir notre si cher et tendre monde occidental à des fins sauvagement belliqueuses. Les récentes révoltes du peuple Arabe, la longue histoire du conflit israelo-palestinien,le métissage de plus en plus prégnant et inéluctable de notre pays, la peur d’une perde d’identité nationale au moment où L’Islam voit sa présence renforcée donc bien plus visible que les années précédentes sur notre sol ainsi que bien d’autres sont des motifs véhiculés régulièrement aux informations, et ceci sans le temps de l’analyse nécessaire à la compréhension de cette culture foisonnante riche de plusieurs siècles. L’Occident saura pourtant s’en souvenir et grandement s’en inspirer pour bâtir et fortifier la sienne. Ces amalgames ingurgités et recrachés sans discernement aucun sont quelques-unes des explications du rejet de L’Homme musulman en général et de L’Homme Arabe en particulier.

Grace soit donc rendu à Raja Amari de nous prouver que cette stigmatisation est particulièrement infondée et que cette entité possède au contraire une ouverture d’esprit largement accueillante, avec un sens de l’hospitalité faisant parti des us et coutumes de la civilisation Orientale. Il semble important de rappeler que la Tunisie, point d’orgue central de ce film, se tient relativement à l’écart d’une conception archaïque de L’Islam, contrairement à certains de ses plus ou moins proches partenaires maghrebins.De par son passé, elle a su éviter la majorité des écueils liés à cette problématique pour mieux transcender sa modernité et exalter le rapprochent interconfessionnel. C’était une volonté manifeste de son ancien président Habib Bourguiba et son peuple lui en était reconnaissant, même si ce consensus longtemps approuvé à fini par se fissurer à force d’emprise quelque peu dictatorial sur celui-ci. La Révolution du Jasmin qui s’en est suivi s’est avéré un rappel nécessaire pour quiconque outrepasserait cette règle d’or.

En situant le cadre de son scénario sur une mère élevant péniblement mais fièrement sa fille, la réalisatrice nous raconte Sa Tunisie, pétrie de contradictions car habitée par une tradition ancestrale impossible à effacer et emprunte d’une modernité éprise de liberté et de renouvellement. Cette femme, veuve solitaire depuis qu’elle a perdu son mari, subvient tant bien que mal à leurs besoins en effectuant des tâches ménagères et vit recluse chez elle en attendant tous les soirs sa progéniture, sa seule et unique famille proche. Le rituel, désuet au premier abord, est capital pour sa santé mentale et physique. C’est ce qui lui permet de se sentir toujours vivante. Il ya la une première radiographie du pays, entre une ancienne génération percluse de doutes ne sachant comment organiser sa vie nouvelle (chose encore plus marquante pour les femmes seules) et l’émergence d’une jeunesse étudiante embrassant l’avenir à plein poumons. La dichotomie observée avec tellement de justesse souligne l’importance de la reconstruction identitaire qui doit s’opérer pour tirer le meilleur d’un passé inquiet pour assurer un avenir radieux. Un point de vue salutaire qui ouvre une analyse perspicace encore plus poussée pour tenter de prendre la pleine mesure du croissant doré. La télévision ou passe des romances sucrées, fil conducteur du récit, révèle bien des éléments essentiels de ce peuple. L’amour décomplexé et la beauté des sentiments se vivent par procuration dans une société ou la place des hommes reste constitutive dans son fonctionement.Rever à une vie meilleure reste un doux euphémisme en même temps qu’une vague promesse qu’il est difficile de s’octroyer pour ces princesses. Arrive alors la découverte de ce cabaret, monde interlope intriguant s’il en est, ou le plaisir et la luxure de la danse paraissent, sinon prohibées, du moins fortement improbables pour les tenants d’une rigueur morale castratrice.

La danse du ventre, culture ancestrale fondamentale de L’orient, est un formidable moyen d’émancipation qui donne au corps féminin le plaisir jouissif de dominer le machisme ambiant. L’art qui s’en dégage doit impérativement être conservé et transmis, sous peine de voir un des piliers de cette culture enfouie à tout jamais. Son exécution demande force, courage et dextérité et la splendide sensualité qui en ressort ne doit pas se confondre avec une simple lascivité vulgaire. Partagée entre son désir de retrouver un souffle essentiel et renouer avec ses glorieux antécédents et l’angoisse d’un héritage moralisateur, la déesse se lancera finalement à corps perdu dans cette passion si longuement réfrénée.

Le talent de la réalisatrice prend tout son sens dans la description fine de la dualité éprouvée à l’égard de ce poids, elle ne juge personne mais regarde simplement les protagonistes s’échiner à respecter leurs convictions les plus profondes pour s’arrimer douloureusement à la vie qui passe. Le final en est la plus belle illustration. En fait de rancœur et d’amertume, cette mère Térésa soulignera sa bonté du cœur en faisant passer sa profonde tristesse d’avoir été trompée par l’homme qu’elle aime par une ironie mordante au profit de sa fille tant aimée. Le magnifique portrait de la femme arabe dans toute sa splendeur.Hiam Abbas l’incarne à la perfection, rose fanée qui renait au monde par la sensualité de ses courbes élancées. Elle seule (avec Ronit Elkabetz,une autre israélienne) correspondait parfaitement au portrait sensible de ces âmes tourmentées saisies par l’infinie charme de la mélancolie. Transpirant l’élégance et la classe folle, elle donne un visage radieux à ces perdantes grandioses.
Sabri_Collignon
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le 14 juil. 2014

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