Une certaine perplexité environnait Saint Amour. Pêle-mêle, on y trouvait l’agriculture, Poelvoorde, Depardieu, le vin…dès lors, "promouvoir" ce film auprès de ma moitié relevait de la rodomontade. Oui mais c’était sans compter sur l’atout-maître, l’argument "Groland" qui permettait d’aller direction non pas la Thaïlande mais dans les vignobles français.


En entamant une véritable Route des Vins (et non pas un circuit dans le Salon de l’Agriculture), en s’embastillant dans un taxi, Saint Amour suit la réparation de trois personnes. Ici, le silence agit comme une rombière, l’excès de parole comme un supplément bagage. La reconquête de la sapidité de la vie passe donc non pas par la méditation mais par le voyage. Une excursion viticole comme refuge mais qui se révèle aussi propice à une incursion dans l’intime, la solidité des liens.


Le brulot pro-agriculture et/ou anti parisianisme est balayé d’un revers de la main tout le long du film. Et plus que des difficultés administratives, matérielles et économiques d’une des mamelles de la France, Saint Amour dirige sa caméra sur les mots, les maux de cette catégorie. Plus que la problématique du prix du litre de lait, il y a ce souci de la pérennité d’un domaine (agricole). Au-delà de la question du combat centrale d’achat/producteur, Saint Amour évoque la solitude au sens large. Le film n’oppose pas ces questions. Il délaisse quelque peu ces considérations mathématiques pour souligner l’incidence de l’environnement personnel dans la tenue d’un enclos. Des propos liminaires, des situations légères mais jamais de facilité comme pour ne pas travestir la condition des agriculteurs.


Plutôt que de verser dans le mielleux, dans le protestataire, Saint Amour livre les sentiments sans prévarication. De l’humour, un souci de brocarder sans dédain, de mettre en lumière sans préjugé et de l’amour, tel est le sacerdoce de ce long métrage. On peut y ajouter la touche Delépine/Kervern : un soupçon de potache, un certain sens de l’ineptie et ce soin de convoquer un casting déconcertant. Saint Amour est donc un coup de projecteur sur les tourments de la claustration, les quiproquos générationnels, le caractère protéiforme et envahissant de la transmission et la survivance d’épithètes au moment d’évoquer l’âge, la condition sociale et les tournants de l’existence.


Dès lors la question est légitime : l’interprétation remarquable du casting s’explique-t-elle par la connexité entre les acteurs et les personnages interprétés ? Le caractère un peu gauche de Vincent Lacoste, le côté désinhibé/désabusé de Poelvoorde et la prestation tout en regrets, introspection et brute de Depardieu sont autant d’observations abondant en ce sens. Plutôt que de jouer sur les lignes de fractures entre ces différents horizons enfermés dans un habitacle, Saint Amour met en exergue la communication de ces frustrations, le caractère exutoire de les exprimer puis de les tourner en dérision. Il n’est donc pas question ici d’atermoiement sur la prétendue lâcheté de l’un, le veuvage de l’autre ou le refus d’un parcours tout tracé. Le voyage, tout comme le taxi, est le prétexte à un face-à-face entre ces hommes, leurs vœux, leurs projets et leurs éventuelles réalisations. Aussi, la critique ici ne consiste pas en une descente en règle de ce qui n’a pas été fait mais plus sur des questions, sur le sens à donner aux liens et sur l’opportunité d’un nouvel élan.


Saint Amour propose une lecture toute en poésie et en humour de notre société. Au carrefour de l’uchronie, de l’utopie et la satire, les personnages présentés brillent par leurs meurtrissures, leurs carences. Loin d’en faire l’apanage d’une seule "classe", Saint Amour transcende la condition des protagonistes pour en extraire des réflexions dont le dénominateur commun est l’humain. L’humain défait de son patrimoine (génétique, immobilier, matrimonial), de ses fardeaux. Le chemin pris par le trio tout le long du film épouse le circuit entrepris pour découvrir la richesse viticole française : du caractère, des mots, des robes différentes (avec ces questions autour de la relation homme/femme), des couleurs diverses. Point de surplus de pathos ni de surenchère vaine au moment de ces remises en question. Juste ce besoin irrépressible d’évasion, d’inconnu, d’ivresse et de gourmandise. Le tout mis en bouteille avec légèreté, gouaille et simplicité.

RaZom
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le 9 mars 2016

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RaZom

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