Introduction dans ton uc



Quand je suis sorti de la salle, j'ai eu le malheur de dire que je n'avais pas apprécié Saint Amour. J'avais créé un pôle de la critique franchement négative malgré moi. Flûte. Je voulais me faire tout petit. C'est râpé. Comment, moi, invité gratuitement, pour voir du cinéma, du bon cinéma, du surprenant cinéma, du cinéma adoubé ; comment, moi, convié à assister à une ambiance légère et sympathique, animée par toute une équipe qui met de l'envie, de la passion pour que ce rendez-vous fonctionne ; comment, moi, entouré de passionnés, de cinéphiles, de gens cultivés, curieux ; comment, moi, devant un débat avec des réalisateurs adorés, à l'écoute - bon, tu l'accouches ta question ?!


Comment, moi, président, ai-je pu commettre ce crime de lèse-majesté de ne pas apprécier ? Pire ! Comment ai-je pu n'avoir rien dit, rien montré de mon désamour devant les principaux intéressés, dans cette magnifique salle du club de l'Etoile, engoncée dans la complaisance artistique, sûre de son coup, comment ai-je pu, comment ai-je pu !


Comment ai-je pu être si lâche, oui, bon, d'accord, je suis un bisounours de gauche hein, personne n'est parfait, et puis c'est une habitude chez nous les gauchistes que l'hypocrisie à la sauce verte de l'intégrité, comment, surtout, comment ai-je pu être si goujat ?


Mais pour qui je me prends ! Ventre-saint-gris, ce sont des gens qui font des films, ils s'échinent, ils montent des équipes, ce sont des gens pleins d'abnégation, c'est beau, c'est grand, c'est fort - oui, bon, calme-toi Georgio, j'ai compris ma goujaterie.


Mais aussi comment, moi, ex-Allociné, ancien chasseur de petits-bourgeois virtuels et vendeur de chimères révolutionnaires, adepte de la politique du bouc-émissaire mais aussi de la traversée du désert, comment ai-je pu être photographié avec mon ennemie jurée, ma kryptonite, Angel25, celle qui me harcèle avec une névrose déconcertante depuis des années ? Comment ai-je pu me laisser entraîner malgré moi dans un affrontement artificiel et motivé par des tiers ? Et comment, d'abord, ai-je pu me laisser faire, attendrir, presque pétrir par cette réunion avinée de gens gratuits ? Mais quelle mascarade, mes amis, mais quelle mascarade !


A cela je n'ai à dire qu'une chose :


Saint Amour.



Critique citrique



Saint Amour, c'est la carte magique, le joker, l'atout. Hop ! Chat perché ! C'est faire pouce dans la cour de récré. Et c'est ça, la grande blague qui laisse incrédule devant Saint Amour. La grande facilité. Et pour repérer la lâcheté, même si elle a la forme d'une "blague entre potes" après une oeuvre delépinienne lourde (Near Death Experience), j'en connais un rayon de supermarché. Par contre, je ne suis pas un clown mais j'en pense, de ce film, qu'il s'agit là d'une vaste blague qui se fout un peu de ma gueule. Et si ma gueule est ouverte, mon goulot lui est étroit.


Je me retrouve alors devant ce remake de 3 hommes et un coup fourré (interdit -18 ans) ou encore dans un road movie proche des Trois frères, animé par Le Père, Le Fiston (tous deux éleveurs) et un VTC (cf. note), un anonyme qui fait taxi à la petite semaine (l'incarnation de la matrice, le Saint-Esprit autrement dit ; c'est Saint-Mike, la preuve il est puceau). Une fois qu'on a dit ça, il y avait la toute matière à verser dans la satire comme c'était le cas avec les précédents films, hormis les deux premiers, Avida et Aaltra. Avida et Aaltra étaient faits de sketchs, un peu en roue libre - ce qui faisait un bien fou au cinéma tant que ça restait noir comme l'humour. Avec Saint Amour, c'était la très rare occasion de montrer un visage de la ruralité (bonjour la gueule d'illettrés... mébon ça se défend), c'était l'occasion de causer de l'agriculture, de causer des problèmes intrinsèques des Uber Pop(pers ?).


Hé bien non ! DTC le VTC ! Rien de tout ça : le film, par ses sketchs dont seulement un de franchement culte, apparaît comme une folle et tendre fuite en avant. Avant l'on avait une suite absurde, toujours une incompréhension normalisée en guise d'amorce et, que ce soit Louise Michel, Le Grand Soir ou Mammuth (voire Near Death Experience), le scénario remontait tout le processus de déshumanisation, comme fil conducteur initiatique. Mais que s'est-il passé ici ?
C'est pourquoi je parle d'une fuite en avant. On a perdu le goût des causalités, même si elles aboutissaient à des quêtes futiles. C'est pas répréhensible en soi que de chercher bonheur quand tout part dans le mur en société. Mais franchement, j'attendais mieux de ce duo de copains auteurs que de pousser la sérénade pour un gang-bang, tout simplement parce qu'ils ont déjà présenté un autre visage, une face plus... consciente des intérêts absurdes et de la bureaucratie laïcarde sclérosante qui règnent en société.


Donc, on le voit bien, ce Saint Amour aurait pu résonner comme une synthèse (des deux premiers films puis des trois qui ont suivi) de tout le cinéma que les deux compères ont pu accomplir jusque là. Sauf que... On assiste, impuissant comme un Depardieu dans un avion, à tout ce qu'il y a de plus lourdingue, de plus grivois, de plus vulgaire (une face récurrente présente dans l'esprit grolandais, dit-on). Il ne manquait plus que le pipi-caca et les putes et j'aurais quitté mon saint-siège (par l'opération de l'Esprit Saint, amen).


Je ne vois pas ce qu'il faut retenir de ce film, si ce n'est qu'il délivre au moins une oeuvre sincère et sympathique qui se laisse regarder - ce qui, à mon sens, est la pire des choses qui puisse arriver à un Kervern-Delépine.


Récemment, j'ai eu un cours d'oenologie. Un ami m'a initié rapidement à défaire tous mes a priori qu'on raconte sur les étiquettes de picrate. Genre, pourquoi on dit : "A l'attaque, je dirai de la framboise et du laurier en pointe"... Alors que le fût de chêne n'a jamais vu passer un brin de laurier et que la première framboise pousse à 65 km du lieu de vendange. J'ai alors compris comme un soulard au Corbières que la framboise et le laurier étaient moins des réalités que des idées, des sensations, des concepts de la framboise et du laurier. Et tout à coup, j'ai trouvé ça saisissant comme une expo d'art contemporain dans mon cerveau (j'avais même pas pris de méthamphétamines ce jour-là en plus).
Delépine a annoncé qu'il voulait faire quelque chose de plus léger avec Saint Amour, quelque chose de moins lourd que Near death Experience. Delépine se trompe, et je croayis qu'il était au courant puisque cela avait été noté en débat lors de son précédent film ; il avait fait un film qui avait un arrière-goût paradoxal de banane alors que l'attaque était plutôt astringente. Avec ce Saint Amour, on a juste le sentiment d'un vin villageois à 2 euros 40 chez Lidl. Un petit Saint Amour, sans grande fantaisie, sans grande singularité, petite vendange devant deux de mes viticulteurs préférés.


Je préférais le petit Triniac de l'année dernière, il était très bien le Triniac 2013. Bref, voilà un beau gâchis, une belle déception sur un sujet en or que sont "les petits propriétaires / autoentrepreneurs", sur ces travailleurs acharnés qui paient cher leur émancipation.


Il m'étonnerait sincèrement de trouver des gens insensibles aux retours à la nature et à la légèreté, à l'heure où les conditions ouvrières sont proches de la terreur. Je préfère à cette fuite en avant l'auteurisme amateuriste de Louise Michel qui invitait à tuer le père plutôt qu'à en créer un autre. Quitte à boire un petit ballon, autant ne pas engloutir une énième baudruche, c'est là tout mon propos.
Peur de la redite ou combat contre la vanité chez Kervern & Delépine ? Hm, je ne sais pas. Mais je n'aurais jamais eu l'idée de coller un coup d'antigel au milieu de cette série plutôt honorable de millésimes. Ah les salauds !


Note :


A part le vin qui ne trompe personne en sa qualité de sang/âme/Vie, si l'on suit l'analogie avec la Sainte Trinité en mode "Dieu sur Terre" (ce qui n'est pas étranger à Poelvoorde, par ailleurs), il y a un truc que je ne pige pas : elle est où Marie dans tout ça ? C'est pas le Messie qui est censé remplir Marie-Madeleine dans l'histoire. Je ne pige pas. Y'a comme un... Hic ! Toujours est-il qu'après les propos de Bouli Lanners sur - passe-moi-le-titre-du-film-hum - "Les Premiers les derniers", il y a décidément beaucoup de catholicisme latent et primitif chez nos auteurs.




Bonus : la critique féministe


Globalement, le film manque d'aller droit au but plutôt que d'aller aux putes. Remarquons d'ailleurs l'image des femmes dans ce film : c'est... une morte, deux angoissées, une violeuse qui ne l'est pas parce que l'homme ne dit jamais non (n'est-ce pas) et une qui cherche à se faire mettre le polichinelle dans le tiroir.
Franchement, je ne regrette pas ma vision des choses : sauter dans le bonheur à pieds joints avec ce que qu'on a, c'est le début du conservatisme.
On était en droit d'attendre à un phénomène plus initiatique qui donnerait du sens à ce nouveau road movie - puisque c'en est un ! - plutôt qu'à une resucée sur le thème de la famille comme réussite de soi. Si je traduis le film, ça donne : le travail (de l'éleveur) peut continuer d'être tout aussi exploiteur puisque la famille nous sauvera.


Le constat peut laisser sceptique question bonheur et émancipation.

Andy-Capet
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le 21 févr. 2016

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