Ne vous laissez pas refroidir par ce titre. J'ai failli m'y arrêter, et quel dommage c'eut été.

« Sage-Homme » est une splendide histoire, un drame social fort porté par un récit puissant et des acteurs magnifiques.

Mais parce qu'un film est un tout, et qu'il faut quand même en parler : quelle mauvaise titraille ! « Sage-Homme » ? Non seulement c'est prodigieusement moche, et bas du front, mais en plus, ça n'a aucun sens. Le film lui-même explique au bout de 10 minutes que « sage-femme » signifie « être humain (sapiens/sage) qui s'occupe des femmes (qui donnent naissance) ». Et donc que « sage-homme » signifierait littéralement « prendre soin des hommes ». Si on peut remarquer que le scénario tente de se rattraper en évoquant l'intérêt du personnage principal pour la place (souvent envahissante) du père dans la salle d’accouchement, le sujet central du film, ça reste les femmes !

Maintenant que ça, c'est dit : le film.

Joué par un impressionnant Melvin Boomer pour son premier rôle sur grand-écran, Léopold est un jeune de banlieue en étude de médecine. À l'étroit entre ses potes, ses trois frères, son père (Steve Tientcheu) et ses oncles, il rate une ultime fois le concours pour la voie royale. Il doit alors choisir l'école des sages-femmes, pour pouvoir emprunter une passerelle deux ans plus tard, et rejoindre médecine. Un rêve plus lié à la perte de sa mère des années auparavant qu'à une véritable volonté d'ascension sociale.

Léopold se perd alors, plongé dans un univers qui lui est inconnu, entièrement féminin, loin, très loin du patriarcat familial. Stagiaire en CHU, il y découvre l'obstétrique, la gynécologie, les accouchements, la maïeutique, les manques de moyens, de personnel, les rythmes d'enfer. Cachant son échec à sa famille, démoralisé, il refuse de s'impliquer sérieusement dans ce cursus. Mais face au risque d'échec à long terme, et sous l'influence de Nathalie (Karin Viard toujours aussi juste), sage-femme bouillante et exceptionnelle, il se décide finalement à jouer le jeu (un peu vite, c'est vrai). Il devient dès lors un étudiant passionné, attentif, sérieux, totalement dévoué. Il ris enfin, sympathise avec le service, tombe amoureux de la belle Fatou (Tracy Gotoas absolument parfaite), et redécouvre sa sexualité à l'aune de sa nouvelle connaissance du corps des femmes.

Malheureusement, comme le dit Nathalie, les emmerdes arrivent toujours toutes en même temps. Chirac disait qu'elles volent en escadrilles. Après un accouchement difficile où Léopold sauve la vie d'une patiente, son père découvre son secret, Nathalie apprend qu'elle est malade, et est renvoyée pour une faute imaginaire par une direction de l'hôpital tout aussi lâche que réaliste. Dégoûté, Léopold en vient à se froisser avec ses camarades, Fatou, et abandonner l'école.

Mais dans une scène incroyable, tout aussi tordante que poignante, où Léopold accouche chez elle la femme (Sabila Moussadek) du cousin de son père - et je veux revoir l'hilarant Bruce Dombolo plus souvent à l'écran - le jeune homme se décide finalement à reprendre ses études et à définitivement choisir la voie de sage-femme. Dans la scène finale, Léopold fête l’obtention de son diplôme de sage-femme tandis qu'une Nathalie souriante hisse la voile de son bateau et fait cap vers l'horizon, dans une jolie mise en scène du passage de témoin.

En restant au plus proche des peaux et des visages, le film s’intéresse aux sensibilités profondes de Léopold, et questionne le rapport masculin aux stéréotypes de genre et à la maternité. Il offre un discours optimiste sur la capacité d'émancipation du jeune homme vis-à-vis des normes sociales du patriarcat, par la libération de sa parole, l'expérience sociale de l'autre, l'empathie, l'éducation et l’instruction. Accepter ses émotions et réussir à en parler, extérioriser ses besoins et ses frustrations, embrasser ses failles, son propre amour pour autrui, bref, ce que la socialisation masculine se refuse à faire, quitte à faire souffrir tout le monde. Faire tout cela, et aussi intégrer pour soi et les autres la parole sensible des femmes, les inégalités et les injustices qu'elles subissent, tout autant en tant que mères que professionnelles de santé, sans en faire des éternelles victimes, mais au contraire, des femmes tout autant sensibles que fortes et émancipés.

En prenant un jeune homme, issu d'une famille entièrement masculine, au paternel bourru et ancien flic, comme personnage principal, la réalisatrice semble montrer que cette socialisation légèrement viriliste ne tient pas face à l'unité de destin qui unit les hommes et femmes à travers cette figure parfaitement neutre et plus humaine que n'importe quelle autre que le nouveau-né.

De plus, le métrage porte une critique virulente à la fois du système hiérarchique hospitalier, violent et cruel, gérant les services comme des entreprises, mais aussi du système des écoles de médecine, qui par la sélection favorisent mécaniquement les plus fortunés.

Inégalités sociales, patriarcat, néolibéralisme… C'est ça un film woke ?

AlexandreBouy
8
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le 21 mars 2023

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