La mort est dans leur contrat

Rush... Dire que ce film était attendu avec impatience et/ou appréhension par les fans de sport automobile(dont je fais partie) serait un euphémisme aussi grand que de dire que Michael Schumacher a eu une belle carrière en F1. Il faut dire que les précédents essais n'ont pas rendu service, entre Driven universellement reconnu pour être un navet ou un nanar selon notre sensibilité (ou notre taux d'alcoolémie) et Michel Vaillant plus oubliable mais presque aussi abusé.


Heureusement, les signes encourageants ne manquaient pas. Ron Howard est un réalisateur compétent et reconnu même si sa filmographie reste inégale. Le scénariste Peter Morgan a écrit The Queen et Skyfall, ce qui est un gage de qualité, et on ne présente plus Hans Zimmer pour la musique. Du côté du casting, Chris Hemsworth et Daniel Brühl ont prouvé chacun de leur côté qu'ils avaient du talent et savaient rendre justice à leurs personnages. Enfin, on parlait ici d'une histoire vraie se déroulant dans les années 70, ce qui nécessitait un plus grand souci du détail tout en facilitant les démarches quant à la reproduction des courses de l'époque.


Cela, c'est pour la forme, mais pour le fond, il n'y avait pas tant à s'inquiéter. En tant que fan, je peux l'assurer : la rivalité entre Niki Lauda et James Hunt était parfaitement cinématographique. Entre les différents événements ayant émaillé la saison 1976 et l'opposition des caractères des deux champions, il y avait de quoi faire sans qu'il y ait à broder des sous-intrigues ici et là. Le pitch (proposé à Howard par Morgan) était si prometteur que le réalisateur, pourtant étranger au sport automobile, a fini par s'intéresser à la discipline. Cerise sur le gâteau : Niki Lauda en personne collabora avec l'équipe, de quoi crédibiliser le tout. Et au final, ce fut très bon. Peut-être même meilleur qu'envisagé.


Déjà, je l'ai dit, l'histoire en elle-même est cinématographique. L'opposition des styles, les rebondissements, le danger omniprésent, tout cela, c'était là l'avantage de partir sur une histoire vraie. Ensuite, elle est relativement bien exploitée. Il y a évidemment des raccourcis, des oublis, des erreurs mais dans l'ensemble, le déroulement de l'histoire est conforme à la réalité (je reviendrais sur la principale "erreur" plus tard). Mieux encore, elle ne se concentre pas que sur 1976, ce qui est très bien vu. Pas mal de petits détails y sont présents et s'ils n'auront aucune incidence pour le spectateur lambda, le fan de F1 pourra avoir le sourire en les remarquant. Je pense a l'évocation de certains noms connus du milieu (jusqu'à une apparition d'Enzo Ferrari, dont on attend encore le biopic) et à des faits et anecdotes piochées ici et là : la combinaison avec le « Sex, breakfast of Champions » en écusson, le fait que Lauda détient bien le record sur le circuit du Nurburgring, le teasing de sa deuxième vie (Lauda fut propriétaire d'une compagnie aérienne après avoir raccroché son casque). Un souci du détail bienvenu.


D'un point de vue technique, on n'est pas déçu non plus, toujours en dépit de quelques couacs tout à fait pardonnables. Le bruit des F1 au cinéma est un bonheur sans égal, le maquillage des modèles utilisés est invisible à l'oeil nu et là encore, repérer l'une ou l'autre monoplace (la fameuse Tyrrell à six roues !) est un petit plaisir de fan. Les courses n'occupent pas beaucoup de temps à l'écran mais elles sont bien filmées dans l'ensemble et arrivent relativement bien nous retranscrire la vitesse. Si certains circuits ne sont pas fidèles à la réalité (l'évolution de certains rendaient cela inconcevable), un soin tout particulier a été apporté pour certaines scènes. La dernière course à Fuji était soignée mais le meilleur moment reste évidemment le Nurburgring avec l'accident de Niki Lauda plus vrai que nature, l'image d'archive diffusée peu après la scène en témoigne. D'ailleurs, ces images d'archives permettent de garder un bon fil conducteur dans le déroulement des courses et de crédibiliser l'ensemble. Enfin la musique de Zimmer accompagne très bien le tout, participant à la tension et à la griserie du moment. Même si le fétichiste du cuivre a déjà fait mieux bien sûr.


Reste le gros morceau et peut-être même la principale qualité du film en dehors de la reproduction globale : les performances des acteurs. Les deux figures principales font honneur au personnage incarné, notamment Daniel Brühl qui habite vraiment Niki Lauda. A plus d'une reprise, j'imaginais parfaitement l'Autrichien parler et se comporter de la sorte. A être si cynique et cassant, il en arrive à être drôle (le film l'est plus d'une fois grâce à cela), notamment lors de son premier test de la Ferrari. Dans un autre registre, les scènes à l’hôpital sont assez rudes et participent bien à bétonner l'histoire, car on saisit mieux ce par quoi Lauda est passé. (Et oui, un prêtre lui a bien administré l'extrême onction dans la réalité).


Je note cela dit un petit bémol pour Hunt. Non pas à cause de l'interprétation de Chris Hemsworth qui est très bonne, mais plus à cause du choix de n'exploiter que la part la plus connue de son personnage, à savoir le fêtard désinvolte. Certes, on fait comprendre tout le long qu'il s'agit d'une façade pour dissimuler ses inquiétudes, mais Hunt méritait un film à lui tout seul pour qu'on comprenne mieux qui était vraiment l'Anglais. Or dans le cadre d'un film sur un duel, il fallait faire des choix pour garder un équilibre de traitement entre les deux. Or certains (les non initiés ou les fans hardcore de James) verront plus une caricature. Pourtant, Hunt était bel et bien un fêtard invétéré qui vomissait avant ses courses pour évacuer la pression et qui accumulait les conquêtes. Le film n'avait probablement pas d'occasion de l'exposer autrement sans déborder sur la base du film. Néanmoins, une excellente chose : puisque les deux pilotes sont ici présentés de manière relativement fidèle, il n'y a pas de gentil et méchant à proprement parler : chacun a ses qualités et ses limites, et c'est grandement appréciable.


Du côté des compagnes des pilotes il est dommage de voir qu'Olivia Wilde fasse plus de la figuration qu'autre chose en tant que Suzie Miller (j'ai bien aimé sa dernière discussion avec Hunt cela dit), là où Alexandra Maria Lara livre une performance très juste de Marlène Lauda. Les autres personnages ne sortent pas proprement dit du lot, hormis peut-être l'interprète d'Alexandre Hesketh, qui retranscrit bien la jovialité du personnage. Enfin Clay Regazzoni passe davantage pour l'Italien de base (alors qu'il était Suisse !) mais heureusement, cela est compensé (comme souvent) par le respect de l'histoire. Il a en effet joué un rôle dans l'embauche de Lauda chez Ferrari et a bien contribué à décoincer son équipier.


Mais pour les vrais défauts alors ? Déjà, outre le souci de l'exposition de Hunt, le film contient sa part de raccourcis, d'erreurs, d'oublis ou approximations. En soi, ils n'ont rien de grave car elles ne gâchent pas le film pour la grande majorité. Par exemple l'ascension de Lauda en F1 est un peu simplifiée, mais on peut pardonner cela car sa scène entière avec BRM est un bon aperçu du caractère calculateur et perfectionniste de Lauda. Le truc, c'est que comme on note ce souci du détail pour plein de choses, on s'étonne des coquilles ici et là, surtout quand ça peut servir le scénario. Si la polémique de l'aileron trop large en Espagne est évoquée, la disqualification de Hunt en Grande-Bretagne est zappée, ce qui est étrange. Je regrette aussi l'absence de mention de François Cevert, le pilote décédé dans l'accident de Watkins Glen 1973 qui avait aussi marqué son époque.


A titre personnel je suis aussi moins fan de la course de Monza qui aurait pu être mieux rendue (le coup du passage au milieu des voitures accidentées est un peu abusé) ou de la scène où Hunt corrige le journaliste qui avait provoqué Lauda sur son physique après son accident. Un Hunt qui, soit dit en passant, avait dit qu'il était « hors de question que je porte leurs cravates et blazer à la con », ce qui contredit la scène de l'embauche par McLaren. Idem pour l'arrivée à Fuji où James s'excuse alors qu'en vérité, il s'apprêtait à frapper son propre patron. Dommage car ça ajoutait du punch au moment, sans mauvais jeu de mot.


Mais la principale erreur du film est d'avoir forcé le trait de cette rivalité là où la réalité suffisait. Certes, il est vrai que Hunt avait très bonne presse et que Lauda non. Certes leurs caractères sont dans l'ensemble très bien respectés (surtout Lauda). Sauf que ces personnalités opposées suffisaient à rendre leurs scènes de discussions intéressantes (fictives certes mais crédibles), surtout celles qui évoquaient leur conception de la course. Et surtout, les deux pilotes étaient en réalité très amicaux envers eux, et ce depuis le début de leur carrière en sport automobile. Les deux ont même partagé un appartement avant de débuter en F1. Ainsi cela gâche un peu le tableau car respecter cela n'aurait pas rendu le film moins bon. Au contraire même.


Après, je surinterprète peut-être un peu mais cet antagonisme présenté dans le film semblait presque avoir un côté meta. En introduction, nous avons Lauda en voix-off qui présentait sa rivalité avec Hunt en disant qu'il ne comprenait pas pourquoi celle-ci a atteint de telles proportions car il s'agissait de deux pilotes qui se provoquaient mutuellement, et que cela n'avait rien de surprenant. Comme si ce qui allait suivre montrait cette rivalité d'un point de vue extérieur et zappait une face cachée connue de eux seuls.


Ce que la fin du film mentionne d'ailleurs : Lauda reprend la parole, parlant de ce que Hunt et lui sont devenus après cette saison en concluant par un hommage très émouvant sur l'Anglais, avant que le film nous montre tout simplement une image du vrai Lauda, les larmes aux yeux à l'évocation de la mort de son rival. J'ignore si l'exagération de leur rivalité était voulue ou juste maladroite mais je trouve ça intéressant quand on voit l'introduction et la conclusion.


Mais au-delà de sa qualité intrinsèque, je suis tout simplement content que ce film existe car il rend un bel hommage à ce sport. Il présente une histoire avec un suspens prenant aux tripes à la fin, montrant aux non-initiés que la Formule 1 peut réserver de belles surprises. Il rend hommage à deux exceptionnels pilotes, l'un parti trop tôt, victime de ses excès, et l'autre qui a failli nous quitter en avance également, mais qui est revenu d'entre les morts pour nous donner une leçon de respect. Est-ce un chef d’œuvre que ce soit en tant que film ou en tant que film de sport automobile ? Certainement pas, son écriture est parfois un peu trop forcée et l'histoire ne peut pas captiver tout le monde, d'autant que Ron Howard possède une réalisation assez passe-partout, là où un réalisateur avec une "patte" particulière aurait peut-être sublimé l'ensemble. Mais il reste un très bon film de sport automobile et un très bon film tout court. Et pour ça, merci.


Maintenant vous savez quoi faire pour les prochains biopics sur Enzo Ferrari et Alain Prost les gars.

Masta21
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le 17 nov. 2013

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