Deux gars s'échappent d'une prison à haute sécurité en Alaska et arrivent à monter sur un train. Le conducteur, pris d'un arrêt cardiaque, tombe peu après le démarrage. L'équipe ferroviaire pense d'abord le train fou, puis comprend qu'il y a du monde dessus quand une mécano fait siffler le train. Le directeur de la prison, un psychopathe, descend en hélicoptère sur le train.

Le film-catastrophe est assez codifié, et "Runaway train" réussit le pari de reprendre de manière très carrée tous les attendus tout en proposant une vision originale.

Ce qui me frappe le plus, c'est la sauvagerie des personnages. La plupart d'entre eux parlent comme des primates, avec un vocabulaire très limité. Buck est un Latino qui ne peut faire une phrase sans faute de grammaire. Manny, le héros en lutte contre la société toute entière, qui ne cherche qu'une belle mort pour prouver qu'il est libre, répète souvent les mêmes morceaux de phrase, comme s'il était en transe. La fille est trop débordée par ses émotions. Il n'y a que le chef aiguilleur pour apporter une touche humaniste à ce film.

Les dialogues sont rares, et à plusieurs reprises ces mecs que la prison a rendu semblables à des bêtes sauvages se réprimandent pour parler au lieu d'agir - alors qu'ils parlent très peu. Les scènes d'action priment, mais ce n'est pas de l'action à l'Hollywoodienne, et c'est rafraichissant. Primo, tout est vraisemblable et dépouillé : la moindre clé à molette a son importance ; la mise en scène insiste sur la douleur. Secondo, la composition, le découpage n'excluent pas une certaine recherche plastique qui montre bien que c'est un Russe derrière la caméra : je pense aux effets avec le sang sur la neige, et à ces plans finaux montrant Manny debout sur le train, les bras en croix, disparaissant progressivement dans la neige en attendant la collision finale. Dans ces moments-là, le film est plus qu'un film d'action. On le voit aussi dans la manière dont le milieu carcéral est montré. La prison pourrait faire penser à un camp de concentration, ou du moins à une allégorie sociale ambitieuse mais pas appuyée. Je pense notamment à la manière dont la prison, où les détenus organisent des matchs de boxe, s'efforce de singer la société dont ces damnés se sont coupés (Black inverti déguisé en showgirl, mecs bouffant du pop-corn...).

Ce n'est pas qu'un film d'action : le train condamné, courant vers un cul-de-sac, est une image du destin que se cherche Manny, enfermé dans son image factice de héros, qui tombe lorsqu'il refuse de laisser rentrer Buck, à deux doigts de tomber du train, sous prétexte que celui-ci n'a pas rempli sa mission.

Si le personnage de Buck est un peu énervant - le film le cantonne dans un rôle de sidekick, le duel John Voigt(Manny)-John Pryan (Ranken, le directeur de la prison sadique) est d'une grande intensité. C'est de la testostérone à l'ancienne : pas de gadget, juste de la haine pure, pas de mots superflus.

La musique, rare, introduit des choeurs religieux à bon escient. C'est aussi un des rares films où la musique des années 1980 réussit à porter une certaine intensité dramatique sans faire trop daté.

"Runaway train" est un classique dur-à-cuire, laconique et intelligent qui mérite le respect. Il en faudrait plus des comme ça.
zardoz6704
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Le directeur de prison a une petite moustache

Créée

le 15 sept. 2013

Critique lue 1.1K fois

8 j'aime

1 commentaire

zardoz6704

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

8
1

D'autres avis sur Runaway Train

Runaway Train
Ugly
8

Train fou en Alaska

Le plus curieux avec ce film, c'est que Akira Kurozawa avait écrit la première mouture du futur Runaway train dans les années 60, et que c'est finalement un Russe émigré à Hollywood et devenu citoyen...

Par

le 19 nov. 2016

20 j'aime

12

Runaway Train
LeTigre
5

Il n'est de bête si féroce qu'elle n'éprouve une once de pitié.

Contrairement à la majorité du public, je n’apprécie pas particulièrement cette production mêlant le genre catastrophe à celui du dramatique. Pour moi, il manque une touche personnelle et artistique...

le 6 févr. 2019

11 j'aime

4

Runaway Train
Claire-Magenta
8

Critique de Runaway Train par Claire Magenta

Second long métrage étasunien d'Andrei Konchalovsky, après Maria's Lovers (1984) avec Nastassja Kinski, et six ans après le remarqué Sibériade qui lui valut le Grand prix au Festival de Cannes en...

le 28 sept. 2013

10 j'aime

Du même critique

Orange mécanique
zardoz6704
5

Tout ou rien...

C'est ce genre de film, comme "La dernière tentation du Christ" de Scorsese", qui vous fait sentir comme un rat de laboratoire. C'est fait pour vous faire réagir, et oui, vous réagissez au quart de...

le 6 sept. 2013

56 j'aime

10

Crossed
zardoz6704
5

Fatigant...

"Crossed" est une chronique péchue, au montage saccadé, dans laquelle Karim Debbache, un vidéaste professionnel et sympa, parle à toute vitesse de films qui ont trait au jeu vidéo. Cette chronique a...

le 4 mai 2014

42 j'aime

60

Black Hole : Intégrale
zardoz6704
5

C'est beau, c'est très pensé, mais...

Milieu des années 1970 dans la banlieue de Seattle. Un mal qui se transmet par les relations sexuelles gagne les jeunes, mais c'est un sujet tabou. Il fait naître des difformités diverses et...

le 24 nov. 2013

40 j'aime

6