Room 237
6.1
Room 237

Documentaire de Rodney Ascher (2012)

Servi par une bande-annonce extrêmement racoleuse pour les cinéphiles aguerris et les fans de Shining, de par ce long défilement de noms de festivals dans lesquels Room 237 est passé, il faut reconnaître que ce documentaire léger a des éléments pour attiser la curiosité. [The] Shining est très certainement l’une, si ce n’est la pièce maîtresse de la filmographie du grand Stanley Kubrick. Se servant du matériau originel de Stephen King, Kubrick en a réalisé un film éminemment mystérieux, intriguant et fascinant à regarder, et reregarder selon ces fanatiques. Rodney Ascher est un homme qui a déjà travaillé dans le cinéma mais seulement sur du format court. Ici il touche le documentaire et l’exercice difficile de l’entretien dans un long-métrage qui étonnamment n’est jamais long, grâce à des discussions passionnantes et des images qui illustrent ces nombreuses interprétations, aussi folles et perturbantes peuvent-elles être. Le procédé du montage d’Ascher est approximatif et il est clair qu’il ne va pas remporter l’adhésion quand des documentaires comme Sugar Man (qui certes ne planche pas dans la même catégorie) illustrent un propos selon un montage audacieux, ingénieux et plus fidèle à la représentation du documentaire. Grâce à cette nouvelle notoriété, Ascher sera au commande prochainement d’un segment dans le second volet du film collectif ABC’s of Death. Ce court permettra davantage de se faire une idée du style de ce nouveau cinéaste.

Après avoir analysé l’influence d’un logo sur une génération d’enfants dans The S from Hell, Ascher semble fasciné par l’impact d’éléments culturels/audiovisuelles sur les gens. Après avoir vu la projection de Shining, le cinéaste intrigué s’est surpris à découvrir d’innombrables théories et interprétations du film grâce à internet, et sa communauté numérique qui permet de regrouper ces fanatiques qui voient dans ce film tout et n’importe quoi pour illustrer un propos. Il est vrai que la construction du film est fascinante et toute la méticulosité de Kubrick se ressent dans cet enchaînement de plans, où aucun ne semble être laissé au hasard. Room 237 est un film qui reprend une très large majorité des plans connus de Shining et superpose le son, donc les interprétations, aux images qui permettent de mieux saisir l’enjeu de ces interprétations.

Le plus fascinant dans ce documentaire, c’est que de la théorie la plus probable, la plus inoffensive jusqu’à la plus grotesque, la plus ridicule, Room 237 a le pouvoir de faire douter. Et au final, oui après avoir pris connaissance de ces éléments, le premier comportement serait de saluer ces individus qui ont vu ce que le grand public n’a pu voir. Les expériences, les connaissances et l’implication de ces individus dans le film ont permis de donner à ce film une vaste panoplie d’interprétations, foireuses ou non. L’Holocauste et le Massacre des Indiens, implicitement difficile à saisir, semblent le plus plausible. A l’inverse le faux-tournage de l’alunissage semble grotesque mais instaure le doute tant les éléments à l’écran semblent valider cette hypothèse folle du complot. Après il y a toujours ces images subliminales qui renvoient au sexe, comme Hitchcock en son temps. Room 237 permet également de mieux prendre conscience de la profondeur plus implicite des personnages, notamment la figure divine de Danny ou la représentation d’un nazi dans le personnage de Jack Torrance. Le plus formidable de ce long-métrage est sans aucun doute cette idée audacieuse de superposer les images du film, à l’endroit et à l’envers, donnant des interprétations encore plus folles. Outre des nuages censés représenter le profil de Kubrick, un peu trop perché, Shining à l’envers est encore plus fascinant du fait que les interprétations en sont nourris et semblent crédibles. Les protagonistes interrogés sont tous des individus cultivés, travaillant dans le journalisme, le cinéma ou les industries culturels, et il est plus difficile de leur reprocher ces théories tant leur niveau de culture et d’éducation semble élevé pour les dénigrer et les considérer comme de stupides critiques qui voient le mal partout. Chacun est passionné par son interprétation et cela se ressent. Les discussions n’en sont que plus entraînantes et captivent littéralement.

Mais si le contenu est une discussion magistrale autour de Shining, il est regrettable de s’apercevoir que derrière ces entretiens, aussi grotesques et crédibles soient certains propos, le montage relève du travail de l’amateurisme et un utilisateur lambda de Windows Media Player pourrait réaliser un tel documentaire. Le film ne montre jamais un seul visage réel ou de moments anecdotiques pour donner vie à ce documentaire. Room 237 accumule les séquences de films kubrickiens et s’en sert simplement pour illustrer le propos des protagonistes oraux de ce documentaire. Et le procédé se révèle frustrant par moment, car certains entretiens s’emportent complètement et laisse place à une pensée barge de la part de ces fanatiques. Une caméra braquée sur le visage ou ne serait-ce-que les bras permettraient de prendre encore plus conscience de l’implication de ces derniers dans leur passion d’interpréter, en particulier les films de Kubrick. Le son fait le boulot, mais il manque une cruelle part de perspective, de point de vue autre que ces illuminés. Et le mystère n’en reste que plus grand puisque les individus ayant travaillé sur ce film refuse de valider ou de réfuter certaines théories.

Au final, Room 237 est une autre manière d’apprécier le chef d’œuvre de Kubrick et de voir sur grand écran les théories ultra-poussées de ces cinéphiles fanatiques. Ou du moins écouter car Room 237 prétend davantage à être un radio-show. Heureusement qu’il y a un découpage précis des séquences superposées aux monologues car le documentaire ne prétend à aucune autre forme de mise en scène et de montage. Du coup, le fond l’emporte en totalité sur la forme, tant les discussions sont savoureuses et font jubiler les cinéphiles les plus endurcis. Alors, faux-raccords et improbable coïncidence, ou travail méticuleux sur l’image et dénonciation implicite de plusieurs maux du monde ? Chacun sera juge, et Shining ne finira très certainement jamais d’être débattu. Un documentaire génial qui doit être vu par tous les amoureux de Shining et de Stanley Kubrick.
Softon
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste 20ème Festival International du Film Fantastique de Gérardmer (2013)

Créée

le 21 juin 2013

Modifiée

le 1 juil. 2013

Critique lue 536 fois

5 j'aime

Kévin List

Écrit par

Critique lue 536 fois

5

D'autres avis sur Room 237

Room 237
Sergent_Pepper
4

Appel à témoins

Face à la masse impressionnante de théories fumeuses sur l’exégèse de Shining, nous recherchons vos témoignages pour les besoins d’un documentaire. Vous avez vu le film 30 fois, vous y avez trouvé...

le 6 juil. 2014

111 j'aime

13

Room 237
LiLiLux
5

Masturbation intellectuelle, bonjour!

Ce genre de film me fait HURLER de rire!!! Oui, je suis cinéphile. Donc adepte d'analyses filmiques, interprétations et recherches de thèmes en tout genre... Mais il se trouve que je suis, aussi, une...

le 3 juil. 2013

47 j'aime

28

Room 237
ludovico
5

Le cinéma, formidable miroir de nos âmes

Il y a une anecdote amusante dans une interview consacrée à Kubrick. Le journaliste lui fait remarquer qu’il y a cette présence obsédante du monolithe, jusque dans Full Metal Jacket. « Hein ? Où ? »...

le 13 juil. 2013

35 j'aime

8

Du même critique

The Big Short - Le Casse du siècle
Softon
8

De l'art d'être un visionnaire sans scrupules

Avant d’être le film d’un cinéaste et d’une distribution cinq étoiles, The Big Short : Le Casse du siècle est avant tout le film d’un auteur : Michael Lewis. Il est à l’origine du roman The Big Short...

le 27 nov. 2015

72 j'aime

6

Juste la fin du monde
Softon
2

Juste la fin du petit génie ?

Deux ans après le bouleversant Mommy et un Prix du Jury (mais une Palme d’Or logique pour tout le monde), Xavier Dolan retrouve le tapis rouge du Festival de Cannes accompagné d’un casting...

le 16 sept. 2016

59 j'aime

6

Conjuring - Les Dossiers Warren
Softon
6

Les Warren : Acte III

Grâce à leur statut authentique, validé lui-même par le Vatican, et la réputation des affaires qu'ils ont traité, Ed et Lorraine Warren, et plus particulièrement leurs cas sont devenus une source...

le 13 août 2013

45 j'aime

2