Roma
7.1
Roma

Film de Alfonso Cuarón (2018)

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Cela fait quelques années maintenant que Netflix essaye désespérément de se détacher de l’image du producteur de séries de qualité variable et de films anecdotiques pour se rapprocher du 7ème Art, avec emphase sur la majuscule. Multiplication des grands festivals, grosses têtes d’affiches (Will Smith dans Bright, Nathalie Portman dans Annihilation…) et même grands réalisateurs (les frères Cohen avec La Ballade de Buster Scruggs), tout y passe, mais avec un succès jusqu'à présent très mitigé. Donc quand Netflix a annoncé le Roma de Cuarón, je n’ai été guère surpris.


Cuarón fait partie du trio des cadors mexicains de la réalisation avec Iñarritu et Guillermo del Toro. Personnellement, je l’ai découvert en 2013 avec un Gravity techniquement magistral, et Children of Men est sur ma liste de films à voir depuis des lustres. Il signe ici un film manifestement très personnel, qui relate la vie de Cleo, une domestique dans le Mexique du début des années 70. On s’en doute bien, le film parle donc de la famille, des classes et de la condition des femmes tout en brossant en arrière plan un portrait saisissant du pays, même si je manque de références pour tout saisir.


La place de Cleo dans cette famille riche du quartier Roma de Mexico City est vraiment troublante, à la fois dedans et dehors, à la fois inférieure et aimée, essentielle. Elle n’est ni une simple femme de ménage, ni une esclave. Sa patronne, Sofia, est un étrange miroir : certaines de leurs préoccupations sont complètement différentes, d’autres sont pourtant similaires.


Mais si les thèmes sont intéressants, ce qui fait que Roma est excellent –car il s’agit bien d’un excellent film–, c’est la réalisation de Cuarón. Les mouvements de caméra sont lents et épurés, presque placides, les plans durent : Cuarón prend le temps, chose nécessaire pour faire ressentir le quotidien. Il arrive parfaitement à nous plonger dans la monotonie de la routine de Cleo, renforcé par l’utilisation du noir et blanc, et à en ressortir une beauté poignante. C’est en toute logique qu’il utilise plusieurs plans-séquences, très réussis, au rythme réaliste. La composition des plans est magnifique, tout en restant souvent plutôt détachée de l’action. S’il se passe quelque chose en dehors du champ, tant pis, c’est à nous de nous l'imaginer avec l’audio. À l’inverse, si des choses horribles arrivent face caméra, cette dernière ne cille pas.


Trois scènes en particulier m’auront marquées : l’arrivée du père de famille, au symbolisme lourd mais maitrisé, le plan séquence de la noyade avec ses magnifiques travellings, et, évidemment, celui de l’accouchement, froid, stérile, implacable. Mais il y en a une myriade d’autres, et ce qui est moins mémorable reste agréable à regarder.


Évidemment, Roma n’aurait pu être réussi sans de très bons acteurs, en particulier Yalitza Aparicio (Cleo) et Marina de Tavira (Sofia). Chose pas évidente, les enfants sont vraiment convaincants.


Le seul défaut du film est qu’il peut trainer en longueur, surtout vers la moitié. En particulier, je trouve que tout le réveillon dans l’Hacienda n’apporte pas grand chose à l’histoire ou aux personnages –si ce n’est, peut-être, montrer qu’on est toujours le pauvre de quelqu’un–, et m’a franchement ennuyé.


Bref, avec Roma, Cuarón prouve, s’il y avait encore besoin, qu’il n’a rien à envier aux plus grands réalisateurs de la planète. Quant à Netflix, la société arrive enfin à monter qu’elle peut apporter une contribution notable au monde du cinéma.

Bastral
9
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le 11 janv. 2019

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