Rodin portait une barbe généreuse, mais pour autant était-il barbant ? Sans doute, non. Et pourtant, le film de Doillon l'est terriblement. On n'y apprend pas grand chose qu'on ne supposait déjà sur cette gloire artistique nationale de la fin du XIXème - début XXème, sinon qu'il interdisait au fils qu'il avait eu avec Rose, sa "régulière" de toujours, de l'appeler "papa" quand ils avaient des invités à dîner et que, vers la fin de sa vie, il tournait à l'obsédé sexuel et sacrifiait volontiers à sa réputation de "bouc sacré" (un de ses surnoms) avec une ou plusieurs de ses modèles.


La première moitié du film, consacrée à la relation amoureuse et orageuse du sculpteur avec son élève, égérie et, sur la fin, quasi rivale artistique Camille Claudel, apparaît peu ou prou comme une redite, le Camille Claudel (1988) de Bruno Nuytten et le Camille Claudel 1915 (2013) de Bruno Dumont nous ayant déjà bien renseignés sur tout ça.
Dans la seconde moitié, Rose redevient la maîtresse en titre incontestée et on a alors tout le loisir de se demander ce qu'il pouvait lui trouver, puisqu'il semble bien qu'elle n'eût ni la beauté, ni le talent, ni la sensibilité de la malheureuse Camille. Le réalisateur nous fait comprendre que Rose était beaucoup plus accommodante et respectueuse de son homme et que c'est ce que Rodin, grand artiste mais petit bourgeois, appréciait en elle.


Autrement, on nous sert les poncifs habituels sur les affres de la création et la douleur qu'éprouve l'artiste précurseur d'être incompris de ses commanditaires (notamment les hauts fonctionnaires de l'État français), ainsi que de la plupart des critiques d'art. On esquisse en vitesse des réunions plus ou moins improbables avec les autres artistes majeurs du temps : Monet, Cézanne, Pissarro, Gauguin (me semble-t-il), Octave Mirbeau. Tout ça est convenu, attendu, finalement très sage. Bref, on s'ennuie ferme. En plus, formellement, photographiquement, le film n'est pas très beau, bizarrement éclairé, avec très peu d'extérieurs, étouffant. Des nus féminins, oui, mais qui paraissent presque banals, parce que photographiés platement. Le rythme du film est si languissant qu'on ne sait plus trop où on va.


Rodin, c'est Vincent Lindon. Il fait tout ce qu'il peut pour nous intéresser au sculpteur, nous faire croire en lui. Il n'y parvient pas vraiment, il ne nous touche pas et frise même le ridicule avec ses regards par en-dessous qu'il cherche à rendre "habités" ; en plus, chez Lindon (quinquagénaire), il y a un fond de tristesse, qui colle mal avec la nature supposément rabelaisienne de Rodin. Izia Higelin (en Camille Claudel, personnalité plus sympathique, évidemment) s'en tire peut-être un peu mieux, mais sa composition n'a rien d'inoubliable (Camille existait bien davantage à travers Adjani ou Binoche). Enfin, la prise de son est mauvaise et aurait mérité une post-synchronisation... qui n'a peut-être pas eu le temps d'être mise en place, pour cause de présentation au festival (on me souffle dans l'oreillette que le vrai Rodin parlait comme ça, d'où que Lindon, très encouragé par le réalisateur, l'ait joué inaudible... preuve qu'être réaliste en art n'est pas toujours payant).


Conclusion : le film m'a barbé, déçu (la personnalité et l'interprétation de Lindon faisant certes à peu près exister Rodin, mais sûrement pas oublier les faiblesses et la banalité du scénario). Pourquoi alors l'avoir sélectionné pour le Cannes de cette année ? Il n'avait clairement aucune chance d'y bien figurer.

Fleming
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le 28 mai 2017

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