Rien à foutre...derrière ce titre un brin provocateur se cachent Emmanuel Marre et Julie Lecoustre. Deux réalisateurs "junior" puisque ce long-métrage est tout simplement leur premier. Le duo nous propose une plongée dans l'univers impitoyable des compagnies aériennes low-cost.
Cassandre a la vingtaine bien entamée. Elle est belge mais vit "exilée" à Lanzarote, dans l'archipel des Canaries. Elle travaille pour la compagnie low-cost Wing (dont les couleurs reprennent à l'évidence celles de Ryan Air) en tant qu'hôtesse de l'air. Sa vie la mène un peu partout en Europe, quant à son temps libre, elle le passe en boite, à cuver et à faire des rencontres sans lendemain sur Tinder. Carpe Diem, son pseudo sur les réseaux sociaux, illustre bien la philosophie de la jeune femme qui rêve tout au plus de travailler pour Fly Emirates et de vivre à Dubaï, tout en se disant qu'elle n'a pas le "niveau" pour cela.
La vie que mène Cassandre, c'est aussi à l'évidence un moyen d'échapper à une blessure familiale profonde provoquée par le décès accidentel de sa mère. C'est aussi une manière de ne s'accrocher à personne, de ne jamais avoir le temps de se poser et de réfléchir au sens qu'elle entend donner à sa vie.
Le film aborde deux sujets principaux.
Tout d'abord, le monde totalement déshumanisé des compagnies aériennes à bas coût où le personnel n'a droit qu'à des contrats précaires. Personnel à qui des managers sans âme demandent explicitement de laisser de côté toute forme d'émotion, d'être entièrement focalisé sur l'image qu'il renvoie aux clients et sur l'impérative nécessité de remplir ses objectifs de vente durant les vols.
L'autre sujet est, au travers de Cassandre, de parler de cette jeunesse à qui l'on vend en permanence l'idéal d'une vie faite de voyages, de fêtes et d'argent facile, bien loin de la supposée tristesse de l'existence de leurs parents. A ce titre, la vie en Belgique, si elle renvoie évidemment à la douloureuse perte de sa mère, incarne également pour Cassandre cette vie monotone et banale à mille lieux de celle vécue par les plus célèbres influenceurs d'Instagram qu'elle semble envier. La fuite en avant constante qu'elle a adopté ne la rend pas moins dupe sur l'impasse dans laquelle elle se trouve, simplement elle est à l'évidence désarmée devant l'absence de perspectives de son existence.
Bien que réalisé par des français, Rien à foutre renvoie davantage au cinéma belge, dont il maitrise tous les codes. Pas tant parce que l'héroïne est wallonne, ni parce qu'Emmanuel Marre entretient un lien particulier avec ce pays ou qu'une partie de l'équipe est originaire d'outre-quiévrain, mais davantage par son côté "artisanal", ses visages inconnus, ses cadrages serrés et l'influence indéniable de Strip-tease dans sa capacité à filmer le "réel" (même si c'est un "réel fictif" dans le cas présent) et à le livrer de manière assez brute, laissant au spectateur le soin de se l'approprier et d'établir sa propre réflexion. Du reste, Rien à foutre a été en partie filmé au téléphone portable: une manière astucieuse de contourner un manque de moyen en donnant une dimension très immersive au film, qui s'apparenterait parfois presque à un documentaire.
Enfin, on retrouve également une évidente qualité des plans, des lumières et des musiques, laissant entrevoir une "patte" artistique discrète mais bien réelle.
SI certains auraient aimé que Rien à foutre soit plus court, voire carrément amputé de son dernier tiers, les différentes parties du film n'en reste pas moins complémentaires et dignes d'intérêt.
Porté par Adèle Exarchopoulos dans un de ses meilleurs rôles, on retiendra surtout cette incarnation d'une génération coincée dans un cul-de-sac existentiel, victime d'un monde schizophrène, désenchanté et gangréné par le néolibéralisme.
Alors quand l'avenir s'inscrit en pointillé...carpe diem.