[Mouchoir #3]


Le parlant arrive tard au Japon, et s'établit surtout à partir de 1935, en raison sûrement des bonimenteurs — appelés benshis — qui, plus que dans le reste du monde, occupaient là-bas une place fondamentale au cinéma. Le pays a du mal à se défaire de ses traditions, Naruse du muet.


Rêve de chaque nuit (quel titre), c'est tout ce qui fait le Japon et l'art du muet, mais dynamité plus loin ; c'est-à-dire parvenant à une technique si maîtrisée qu'elle dépasse ce qu'on attend d'un film de 1933 — et même plus tard —, faisant du nouveau avec du vieux. Il s'agit de reprendre les caractéristiques du cinéma d'Ozu, de Mizoguchi, de Shimizu, et du cinéma japonais en général : la misère mais jamais le misérabilisme, des parents qui souhaitent un bel avenir à leur enfant, des plans sur des objets anodins car le sujet s'incarne toujours dans un rapport à la quotidienneté, un cadre soigneusement composé, à même le sol, d'une droiture exemplaire, ainsi que des silences qui figent toute action et tout public.


C'est cette consonance de thèmes qui fera sans doute lorgner Naruse (c'est mon hypothèse) vers l'un des films muets qui parle le mieux d'un misérable, Le Dernier des hommes (1924) de Murnau, lui glanant au passage sa figure de style phare, son invention technique : la caméra déchaînée. Rêve de chaque nuit, c'est la caméra-Murnau sauce Soleil Levant, des travellings déclinés dans tous les sens, qui rythment le film et explosent la linéarité du découpage, qui s'avancent ou se reculent rapidement des visages, constamment. C'est Naruse qui cherche à être au plus près de son sujet et de ses acteurices, des agitations internes qu'il faut souligner ou plutôt démultiplier dans le déchaînement. L'effet est dramatiquement dévastateur, toujours surprenant, nous agrippant au passage dans le mouvement, en donnant vie aux pulsions, sentiments ou toute autre énergie qui traverse les personnages ; et maintenant nous avec.


[15/12/17]

Créée

le 6 mars 2022

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