Un film d'Alejandro Amenábar ne pouvait pas être aussi creux et impersonnel que le déploraient presque unanimement les premiers retours : il devait forcément y avoir, d'une façon ou d'une autre, une forme d'audace incomprise, un malentendu... Voilà, en gros, ce que je me répétais fermement en me rendant à la séance, par estime pour ce réalisateur ou par simple désir de me rassurer peut-être. J'avais tort.


Pourtant l'idée majeure du film - à savoir, démystifier le satanisme - avait à proposer une orientation bien plus intelligente et originale qu'une énième redite de sous-Polanski dans une veine fantastico-paranoïaque où la quasi-totalité des personnages s'avérerait immanquablement faire partie de la secte. Encore heureux que ça n'aille pas par là, d'ailleurs, car étant donné la faiblesse globale du film, s'abandonner à ce type de cliché monstre, ç'aurait vraiment été creuser au niveau d'un fond de cuve de thriller horrifique de chez Blumhouse ; alors non, restons mesurés : Amenábar se rate, mais pas à ce point.


Le film prend la peine d'installer une ambiance, ce qui est déjà beaucoup.
Il élabore petit à petit son propos sur les fantasmes collectifs et, quoique ce soit sans grande subtilité, se permet même via le personnage de David Thewlis de dresser un parallèle entre les mystifications de la croyance scientifique et celles de la croyance religieuse. (Malgré quoi, on ne sait trop comment, il se débrouille pour passer à côté de la question du puritanisme et du rôle que celui-ci joue dans les frustrations dont découle le satanisme, en tant qu'imagerie transgressive et cathartique.) Enfin, quoi qu'il en soit Amenábar se tient à son intention, acheminant le spectateur vers un dénouement réfléchi avec une indéniable intégrité, quitte à donner dans le contre-spectaculaire et au risque donc de s'aliéner le public venu chercher le grand frisson - c'est dire si, à la base, ce projet voudrait bien faire.


Seulement voilà : même avec un propos et une intention, même épaulé par quelques bons comédiens (Emma Watson, deux fois surprenante en total contre-emploi), on ne fait pas un bon film en se laissant aller à une succession de rebondissements sans âme, de scènes de remplissage ou de dialogues artificiels et mal écrits ; on ne fait pas un bon film en brouillant si grossièrement les cartes entre le thriller psychologique et des séquences d'horreur décalées au point d'en devenir grotesques ; on ne fait pas un bon film en alignant comme par automatisme les pires banalités de coups de téléphones mystérieux ou de parquets qui grincent...


Puis plus que tout le reste, car tout le reste à la rigueur aurait été pardonnable : mais qu'est-ce qu'il s'est passé à la mise en scène ?! où est passé l'esthète qui filmait Les Autres ?! où sont les cadres finement pensés, les arrière-plans fixes et oppressants ? C'est d'une telle fadeur à l'image que ça se mettrait par moment à ressembler à un cop-show télévisé plus qu'à du cinéma.


Venant d'un autre, ç'aurait sans doute mérité et reçu un accueil plus indulgent.
Mais venant d'un réalisateur de ce calibre, sans mentir, c'est mortellement décevant.

trineor
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le 28 oct. 2015

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trineor

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