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Sean Baker continue à creuser son sillon, œuvrant une nouvelle fois à rendre son cinéma plus accessible tout en y conservant soigneusement un côté sulfureux, à travers les marginaux sur lesquels il pose sa caméra.


C’est-à-dire que tonalement, il y a suffisamment d’humour et de suspense dans ce récit des manigances d’une pornstar déchue cherchant à fuir son patelin d’origine pour que le film soit abordable, voire même plaisant pour le plus grand nombre.


Mais d’un autre côté, on a aussi affaire à un de ces films qui génère de l’empathie envers l’un des pires spécimens du genre humain, le personnage principal (Mikey) étant un profiteur qui utilise son charisme pour obtenir ce qu’il veut des gens sans se soucier des dommages.


C’est cette tension entre attraction et répulsion, tendue entre ledit charisme de Mikey et ses actes minables voire dégueulasses, qui confère au film toute sa saveur douce-acide.


C’est comme ça qu’on se retrouve investi dans une histoire où l’on ne cesse de se demander si cet enfoiré parviendra à ses fins, peut-être même qu’on l’espère un peu, et qu’en même temps on est horrifié de voir que oui, il semble avancer lentement mais sûrement vers une victoire.


C’est rare que ce genre de film refuse de soulager cette tension morale en lançant au moins quelques barrières sur la route du succès emprunté par l’ordure en son centre. Au lieu de ça, et ça participe à son côté rafraîchissant, le film s’amuse à jouer de cette limite de la bienséance en balayant rapidement tout ce qui se dresse sur la route de Mikey : les réticences de Strawberry, la colère de Lexi, le problème de l’autoroute… Tout le long (ou en tout cas jusqu’à la fin), Sean Baker tient une position qui semble nous demander : si ce n’est du point de vue relatif, artificiel, de la morale, pourquoi cet individu détestable n’obtiendrait-il pas ce qu’il veut ?


Après tout, en plaçant manifestement son intrigue dans un cadre politique connu de tous, la campagne présidentielle américaine de 2016, Sean Baker nous rappelle que dans la vraie vie, un beau-parleur, aussi vicieux, menteur et mal intentionné soit-il, est effectivement en position d’obtenir ce qu’il veut.


Ce film comme parabole de l’Amérique de Trump, qui apparaît à travers des panneaux géants et des discours retransmis à la télévision pour raconter une autre conquête qui fera des victimes de ses facilitateurs, est une nouvelle expression de l’intérêt profond que Sean Baker ressent pour la réalité socio-économique d’une Amérique tout aussi profonde, ou en tout cas marginale.


Ça se retrouve aussi dans ses choix stylistiques habituels : tournages dans des décors réels (avec une raffinerie omniprésente à l’arrière-plan) et avec un certain nombre d’acteurs non-professionnels trouvés sur place, histoire de conférer une authenticité à l’ensemble.


Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y injecte pas une certaine vision personnelle, un certain style. Cinéaste social, Sean Baker l’est, c’est sûr, mais il nous rappelle qu’un intérêt sincère pour des questions sociales ne doit pas nécessairement passer par une approche supposément objective. L’image terne, le ton rude, le naturalisme performatif, cette approche stylisée qui ne se l’avoue pas et qui est devenue la norme ne l’intéresse pas, et c’est pour ça que je l’aime assez.


Il échange ce style dignifié un peu ridicule pour des espaces baignés de soleil et des décors pastels qui n’occultent pas la vulgarité et l’illusion dans laquelle baigne les milieux pauvres, qu’il investit pourtant pour en creuser la surface. Ce qu’il nous dit, c’est qu’il y a beaucoup de lieux défavorisés en Amérique qui se parent d’un vernis fluo et qui rêvent que l’ascension sociale se trouve à quelques pas, afin d’oublier la misère noire en leur centre. Mais chez Sean Baker, les personnes qui les peuplent ne sont ni idiotes, ni sujets à moqueries. Simplement acculées.


Malheureusement, il semble nous dire que c’est justement cette lueur d’espoir, cette possibilité de s’en sortir par l’arrivée d’un homme providentiel, cette narration de conte de fée, qui maintient leur tête sous l’eau. Les parallèles avec l’arrivée au pouvoir de Trump se poursuivent donc tout au long du film, mais seulement jusqu’à une fin qui montre au contraire les marginalisés (et victimes, femmes, personnes noires) reprendre les choses en main et dominer leur propre situation, déjouant au dernier moment la victoire définitive de Mikey (Mikey, Donald, le conte de fée, Sean Baker n’a pas vraiment quitté Disneyland depuis The Florida Project).


Le côté subversif du film, c’est que ce retournement classique où le peuple reprend le pouvoir intervient dans une structure narrative inversée, où le personnage principal, celui dans lequel on a investi, devient alors une victime. Ce qui éprouve les limites de notre empathie, et interroge notre propre capacité à ressentir pour les mauvaises personnes quelque chose qui va peut-être même jusqu’à la sympathie.


C’est là où sa cible n’est pas aussi facile qu’on pourrait le croire, puisque ce n’est pas Mikey. C’est nous, en tant qu’audience, en tant que public captivé. C’est en ça que la fin n’est pas un rebondissement inspirant en faveur du peuple, là pour nous inspirer ou nous soulager. C’est un coup de poignard porté dans notre propre conscience coupable.

ClémentLepape
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le 25 févr. 2022

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Clément Lepape

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