Il y a 500 ans, dans le royaume de Kumandra, la discorde régnant entre les hommes permit à une entité maléfique, le Druun, de semer le chaos, transformant en pierre tous ceux qui se trouvaient sur son passage. Avant de disparaître à leur tour, les derniers dragons qui défendaient le royaume créèrent une pierre magique interdisant l’accès du royaume au Druun. Malheureusement, au cours des luttes de pouvoir pour posséder la pierre, cette dernière se brisa en cinq morceaux, laissant le Druun envahir à nouveau Kumandra, tandis que les morceaux étaient répartis dans les cinq territoires ennemis composant le royaume. Afin de faire revenir son père transformé en statue, Raya, fille d’un des cinq chefs de Kumandra, se met en quête des différents morceaux afin de reconstituer la pierre, espérant ainsi conjurer le sort. Elle peut compter sur un allié de taille : le mythique dragon Sisu, seul survivant de son espèce…


Après deux suites franchement décevantes (Ralph 2.0 et La Reine des neiges II), on était en droit de craindre que les studios Disney ne commencent à s’affadir et à dilapider leur héritage sans trop savoir quoi en faire. Raya et le dernier dragon arrive à point nommé pour balayer (presque) toutes ces craintes, non sans en confirmer quelques-unes au passage.
On a plusieurs reproches à faire au film de Don Hall et de Carlos López Estrada, mais ce qui éblouit avant tout, c’est leur capacité à surmonter sans cesse des défauts pourtant bien réels. On pourra en compter deux majoritairement.


Comme on pouvait s’y attendre, le premier qui frappe est évidemment la simplification à outrance d’un propos géopolitique déjà guère élaboré. Le royaume de Kumandra est une formidable invention de la part des scénaristes, mais ne donne jamais lieu à la mise en place de systèmes politiques et sociaux vraiment réfléchis.
Il est évident qu’en 1h30, dans un film qui cherche à s’adresser autant aux enfants qu’aux adultes, on ne s’attend pas à du Game of Thrones, mais pour ma part, j'aurais toutefois aimé voir le film s’allonger, ne serait-ce que d’un petit quart d’heure, afin de développer un peu chacun des cinq royaumes de Kumandra, en s’étendant davantage sur leurs rapports de force et éventuellement, leurs différentes manières de vivre. En l’état, leur présentation est assez sommaire, mais on pourra déjà louer le fait que chacun des royaumes est exploité dans le film, marquant une nette évolution par rapport à un Casse-Noisette et les quatre royaumes, qui n’en présentait jamais qu’un seul…
Le deuxième défaut, un peu plus rageant peut-être, est cette fâcheuse tendance qu’ont les studios Disney à confirmer leur réputation en reculant devant toute cruauté. Si l’on est au courant dès le début du film que les personnages transformés en pierre auront un moyen de revenir à la vie (c’est tout l’enjeu du récit), on est toujours un peu déçu de voir que chez Disney, la méchanceté n’est plus que provisoire et la mort n’est désormais jamais définitive. Ce refus à tout prix de faire mourir les personnages, alors qu’ici, une magnifique occasion se présentait pour l’un d’entre eux particulièrement, tout prévisible qu’il était, révèle assez la volonté des studios de ne proposer à leur jeune public qu’une vision par trop aseptisée de la vie et de la mort. On attend également que les studios nous offre enfin un nouveau méchant emblématique qui soit réellement méchant et qui ne se révèle pas être au fond un vrai gentil que la souffrance a mené à l’erreur. Cela fait tout de même depuis Mère Gothel dans Raiponce qu’on n’a plus eu un véritable méchant d’envergure (Les Mondes de Ralph et Zootopie n’arrivant pas à la cheville de leur illustre prédécesseur sur ce point), ce qu’on est en droit de regretter un peu.


Néanmoins, c’est le seul point d’infériorité par rapport à Raiponce qu’on pourra trouver dans Raya et le dernier dragon, car on peut dire que les studios Disney ne s’étaient pas trouvés autant en forme que depuis le chef-d’œuvre de Byron Howard et Nathan Greno, et être conscient des deux défauts susmentionnés ne pourra pas nous empêcher de chanter jusqu’à épuisement les louanges de cette fresque épique signée Don Hall et Carlos Lopez Estrada.
Il faut bien reconnaître que, pour une fois, ces défauts n’ont qu’une importance relative car les scénaristes (huit personnes sont créditées pour l’écriture de l’histoire !) savent les compenser avec brio par l’intelligence sans failles de l’écriture des personnages. En effet, même si les tentatives de Ralph 2.0 et La Reine des neiges II étaient louables malgré leur échec, Raya et le dernier dragon nous propose enfin des personnages extrêmement bien écrits et parfaitement nuancés, détruisant à la racine tout risque de manichéisme.
Ainsi, Raya n’est pas l’héroïne parfaite, elle a droit à son moment de déprime et ses motivations sont avant tout personnelles : elle ne cherche pas d’abord à sauver Kumandra, mais uniquement à faire revenir son père à la vie. De même, Namaari, principale antagoniste du film, n’est pas simplement un personnage avide de pouvoir : si elle cherche la pierre, ce n’est pas pour diriger Kumandra, c’est pour donner à son peuple la prospérité dont il est privé depuis trop longtemps. Dès lors, le spectateur peut s’identifier successivement à l’un et l’autre des deux personnages principaux sans s’enfermer dans un schéma prédéfini. Il est à noter également que tous les personnages secondaires trouvent leur utilité à un moment ou à un autre et qu’aucun n’est réduit au pur rôle de sidekick amusant, ce qui est une plus-value non négligeable pour un film d’animation (Disney ou autre).
Si les personnages sont aussi bien écrits, le scénario n’est d’ailleurs pas en reste, et malgré certaines facilités d’usage ou rapidités narratives, le faible nombre de ces dernières est assez remarquable et révèle bien la volonté des scénaristes de proposer un divertissement de grande qualité. Et de fait, la qualité est au rendez-vous : aucune péripétie n’est rocambolesque ou gratuite et chacune d’entre elles joue un rôle dans la construction des personnages. Si le rythme est parfois soutenu, il n’empêche jamais le scénario de s’attarder sans longueur mais intelligemment sur les souffrances intérieures d’un personnage, jusqu’au plus secondaire (c’est là que les trois personnages complétant la troupe de Raya s’avèrent particulièrement utiles).


Quant au message véhiculé, malgré son simplisme légèrement appuyé par moments (mais moins que ce que les bandes-annonces laissaient présager), on peut toutefois lui reconnaître une véritable intelligence, finalement moins convenue qu’elle y paraît, dans son éloge de la confiance. Au-delà de la confiance, c’est même de la naïveté que le scénario fait l’éloge, et c’est ce qui le rend si beau… malgré sa trop grande naïveté passagère, précisément.
A travers le personnage de Sisu et la confiance aveugle qu'elle voue à tout le monde, les scénaristes réussissent à soulever une question somme toute assez délicate : alors qu’on a tendance à tourner en dérision les gens naïfs, qui se laissent avoir par leurs amis qui leur jouent un tour ou par des gens méchants qui profitent de leur aveuglement, Raya et le dernier dragon ne se moque jamais de Sisu. Au contraire, il nous montre admirablement que cette attitude de confiance presque puérile est normale : lorsqu’on est trompé par quelqu’un, l’erreur n’est pas à chercher du côté de celui qui a trop fait confiance, mais bien de celui qui a abusé de la confiance qui lui était accordée. L’idée pourra paraître toute simple mais à une époque où le scepticisme est considéré comme la norme, on ne peut que louer la volonté de ce film de rappeler que ce scepticisme, s’il est bien souvent réaliste (et Sisu le découvrira à ses dépens, à plusieurs reprises), n’est pas et ne sera jamais normal.
Et si l’application politique de cet éloge de la confiance mis en place par Raya et le dernier dragon pourra sembler trop simpliste, c’est avec grand plaisir que l’on appliquera ce message à échelle plus petite et plus à notre portée, et pourtant une échelle qui pourrait tout changer : celle de notre quotidien. Sans aucun moralisme, le film vient nous rappeler avec brio que pour retrouver la confiance perdue, chacun doit faire le premier pas sans se soucier du ridicule et sans attendre que l’autre le fasse. C’est tout bête, mais quand c’est bien dit, on se rend compte que c’est plus profond que ça n’en a l’air…
Là où, enfin, Raya et le dernier dragon surprend agréablement, c’est également au niveau de son humour. On était en droit de craindre une lourdeur omniprésente, et si l’on ne prétendra pas que l’humour est toujours de haut niveau (quand bien même il ne tombe jamais bien bas), il faut reconnaître qu’il n’est jamais envahissant, et se révèle toujours sain et bon enfant, d’autant qu’aucun personnage n’en détient le monopole.


Enfin, suivant la règle traditionnelle qui veuille qu’on garde le meilleur pour la fin, je ne peux terminer cette critique sans évoquer le plus gros atout de Raya et le dernier dragon, celui qui frappe dès la première minute de film sans jamais s’éteindre au cours de l’heure et demie qui suit : sa puissance visuelle.
Si cela relève du pire poncif qui soit de louer l’animation d’un film Disney en 2021, on gagne toujours à rappeler à quel point les studios sont capables d’éblouir par la magnificence visuelle de leurs films, et même si leurs dernières œuvres étaient très belles, je crois bien n’avoir plus pris une telle claque esthétique depuis Raiponce, là encore.
L’animation est certes d’une fluidité impressionnante, et dénote une aisance toujours plus poussée des créateurs du studio aux grandes oreilles, mais ce qui frappe particulièrement, et peut-être la présence d’un réalisateur extérieur au studio (Carlos Lopez Estrada) n’y est-elle pas étrangère, c’est le dynamisme et la force de la photographie. Les scènes de combat, très bien chorégraphiées, sont ainsi dynamisées par un montage d’une nervosité rare dans ce genre de film (John Wick est cité comme référence par les réalisateurs et même si on en reste évidemment loin, ça se comprend tout de même), tandis que le choix des plans est bien souvent à tomber par terre, magnifiant les décors somptueux imaginés pour l’occasion. D’une fluidité exceptionnelle, la caméra virtuelle nous promène avec une aisance étonnante dans les mille et un détails de cet univers fantastique, créant une atmosphère unique en son genre, résolument novatrice tout en respectant la tradition du studio.


Cet équilibre entre tradition et modernité se retrouve jusque dans la bande-originale de James Newton Howard, qui instaure une alchimie totale avec les images pour que ces dernières mettent en valeur la musique et inversement. N’hésitant pas à introduire quelques notes d’électro dans une musique aux tonalités tour à tour tribales ou classique, cette bande-originale est une synthèse parfaite de l’orientation que cherchent visiblement à prendre les studios Disney avec Raya et le dernier dragon : avancer sereinement vers l’avenir en valorisant le bel héritage qu’un passé très riche lui a permis d’acquérir.
On espère que les animateurs du studio sauront garder cette ligne de conduite à l’avenir.

Tonto
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le 6 mars 2021

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