Des chiffres et des lettres aux aveugles ( Thanx to Diderot ) by Michel Wason

Regarder, écouter, déchiffrer le film-monument de Michael Snow équivaut à une expérience cinématographique à la fois proprement passionnante, éprouvante et incomparable à quoi que ce soit d'autre. C'est bien simple : cet abécédaire audiovisuel de plus de quatre heures échappe totalement à la lisibilité la plus infime ; 26 chapitres comme autant de lettres mises en association avec un nombre incalculable de jeux verbo-linguistiques parfaitement étranges, abscons et fascinants dans le même temps.


Pur objet d'étude sémiologique "Rameau's Nephew" by Diderot ( Thanx to Dennis Young ) by Wilma Schoen est au cinéma ce que le Ulysse de James Joyce est à la littérature : une promenade des sens ( dans tous les sens du terme ) jouant sur toutes les formes de sonorité, de symbolique, de musicalité et de polyphonie du langage anglophone. En reprenant certains schèmes du cinéma structurel auxquelles appartiennent ses précédentes créations ( <--->, Wavelength et bien sûr La Région Centrale ) Michael Snow livre un morceau de cinéma parlant particulièrement fort de café, composant chaque séquence comme un objet conceptuel à part entière.


Ainsi bon nombre de chapitres dudit monument instaurent un principe de clivage entre le signifiant et le signifié ( le segment Sink, superbe ; le très court Mental/Menthol apparaissant à deux reprises au coeur du très long métrage ), d'autres jouent énormément sur la pure essence phonétique du langage ( diction syllabique en forme de composition aux résonances musicales du segment Dennis Burton, au coeur duquel les sons interfèrent avec l'imagerie vidéo du dispositif ), certains placent encore le caractère concret des sons au devant des images, d'autres encore parient sur un brouillage acoustique dilaté sur la durée ( le magnifique segment Polyphony ), tandis que d'autres usent de figures de style pour le moins audacieuses ( le palindrome verbal intitulé Fart, le générique balbutié au gré duquel apparaissent pléthore d'anagrammes de Michael Snow...).


Un film sciemment rébarbatif et occasionnellement élitiste qui peut en paradoxe se voir et s'entendre de façon très simple : comme un flux d'images et de sons se chevauchant, se contrariant, se dissociant ou s'inversant comme autant de causes et d'effets. Lourd, indigeste, fascinant et délibérément ludique le film-monument de Snow est un objet d'Art contemporain joliment masturbatoire, questionnant la langue, ses contenus et ses enveloppes avec brillance et atypie. Incroyable.

stebbins
7
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le 18 mai 2020

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stebbins

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