Fev 2010:


Et un Fassbinder que je n'ai pas compris, un! Mais cela ne m'empêche pas d'avoir des choses à dire en dehors de mon inaptitude à l'entendement.
D'aussi loin qu'il m'en souvienne, ce film avait déjà marqué ma mémoire. J'ai des images d'un reportage photo sur le tournage pour un "Première" avec le Brad Davis de "Midnight express", en tenue de marin, adossé à une bite qui n'était pas que d'amarrage. Cet énorme phallus, priapique, tendu vers le ciel, a de quoi titiller la curiosité du premier ado boutonneux venu. Aussi, quand je me suis mis à fureter dans la filmographie de Fassbinder avec une jubilation et une avidité de mordu, j'avais hâte qu'une édition de ce Querelle finisse par sortir (il n'est pas de l'intégrale).


Et comme il arrive souvent quand on nourrit une si fiévreuse attente, elle se trouve accoucher d'une petite souris. Ce n'est pourtant pas de la forme qu'est venue cette désolation. D'ordinaire, l'image, l'esthétique qu'impose un réalisateur peut m'échauder. Or, ici, bien au contraire, le travail sur les couleurs rouges, orangées, en contraste avec les éclairages verts et bleutés n'ont bien entendu fait agréablement songer au travail de Russell Metty sur les Douglas Sirk colorisés. Quant à l'insistance que d'aucuns considéreront sûrement comme excessive sur l'esthétique homosexuelle mâle, elle m'a paru au contraire comme une image éclaboussante certes, de la fantasmagorie gay des années 80, à ce titre parfaitement en adéquation avec son époque. Mais mieux encore, les costumiers et les décorateurs sont parvenus à y accoler l'esthétique cinématographique homosexuelle précédente, depuis le Gabin de "La Bandera" jusqu'au Brando de "Sur les quais".


Du "Chant d'amour" de Genêt au "Cargo de nuit" d'Axel Bauer, les évocations nous invitent en quelque sorte à entrer dans le monde homosexuel. Cet aspect introspectif m'a plu. Loin de la cage aux folles et des extravagances si éloignées des réalités, les hommes s'enfilent, se bagarrent, s'aiment, se désirent, souffrent dans leur cœur du regard réprobateur des autres, de ces conflits intérieurs nourris par le monde extérieur. Les hommes dépeints par Genêt qu'adapte Fassbinder ne sont pas tous conscients de leur homosexualité, ne l'acceptent pas forcément. L'homosexualité est présentée crûment, vraie, sans l'excentricité folklorique coutumière.


Ce qui m'a le plus embêté, ce sont les dialogues, certaines interactions entre personnages que je subodore à double sens et que je n'ai pas réussi à lire. Entre le texte de Genêt et la relecture de Fassbinder, j'avoue que mon inculture m'a mis dans une fâcheuse posture par moments. J'ai cru pendant longtemps que Querelle était, comme son nom et son comportement semblaient l'indiquer entre les bagarres, le meurtre et surtout la machination contre son frère, une personnification de la perversité, celle qui se nourrit du conflit, du spectacle de la souffrance et de la colère chez les autres. Mais peu à peu il apparaît évident que cette piste est trop simpliste, puis carrément erronée. Au final, je ne sais pas du tout ce que ce film raconte. Les petits encarts m'ont enfoncé dans cet abysse de perplexité.


Aussi me suis-je bien plus attaché à siroter le jeu des comédiens en tout point excellents. Celui qui fait la plus forte impression est sans aucun doute Franco Nero d'une belle complexité, jouant de son charme énigmatique, de son image westernienne et giallesque, de son apparence froide et dure tout en contradiction avec la chaleur de sa passion amoureuse pour Querelle. Je me demande s'il ne figure pas Fassbinder lui même, spectateur énamouré, essayant tant que faire se peut d'être le plus détaché malgré le bouillonnement de ses sentiments et ses désirs. Du reste, la structure de l'histoire, la place de ce personnage et la configuration des lieux situent le film dans un cadre très théâtral. Les quais, le café et les alentours à terre sont un peu la scène alors que depuis sa cabine, sur son bateau, Nero semble en position de spectateur, de critique ou de commentateur. Ce n'est qu'une impression personnelle, je n'y mettrais pas ma main à couper non plus. On peut déblatérer non? Oui, surtout quand on n'a rien compris.


Bien sûr Brad Davis joue bien le mauvais garçon, le Marlon Brando de service, peut-être aussi une part de Fassbinder, mais il y a quelque chose qui cloche... je n'arrive pas à en saisir la nature, quelque chose dans le regard peut-être qui me bloque un peu, une réserve dans son jeu?


Jeanne Moreau (étrange en allemand), Günther Kaufmann et surtout Hanno Pöschl m'ont bien plu. Laurent Malet fait quelques apparitions remarquées mais trop furtives pour réellement éclater.


Je suis vraiment désolé de ne pas avoir compris ce film. Pourquoi une photographie floutée, baveuse dans le bar, à l'inverse de l'extérieur plus nette, précise? Je vois bien l'obsession caractéristique de Fassbinder à filmer les personnages à travers les transparences ou les reflets des miroirs, mais quelle en est la signification?


A garder pour le revoir avec plus de Fassbinder dans ma besace, une expérience plus fournie du cinéaste, peut-être après avoir lu Genêt et là sans doute aurai-je la chance de comprendre et qui sait, de l'apprécier à juste titre?

Alligator
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le 6 avr. 2013

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Alligator

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