Quantum of Solace est l'un des épisodes de Bond les moins appréciés de la franchise. Et quelque part, c'est amplement mérité. Moi même, je me souviens encore l'avoir détesté la première fois que je l'ai vu.


C'était le 31 octobre 2008, le jour de sa sortie, à la première séance de la journée. Le film avait même démarré en retard car les copies n'étaient pas prêtes, nous avions dû patienter plus de trente minutes supplémentaires dans la salle avant que le spectacle ne commence. Et quel spectacle ! J'étais au premier rang, beaucoup trop près pour comprendre quoi que ce soit à ces scènes d'action passées à la moulinette d'un montage survitaminé et sans pitié, réussissant l'exploit de caser trois ou quatre plans par seconde dans certaines séquences. Bref. Et ce n'était pas le pire ! Le pire, sans doute, c'était de n'avoir strictement rien compris à ce scénario confus, précipité, complexe alors qu'il ne raconte finalement pas grand chose. On m'avait promis une histoire d'amour et de vengeance, la revanche de Bond face à ceux qui avaient utilisé et causé la perte de Vesper dans le film précédent. Une histoire personnelle ! Et ben, il faut vraiment savoir où prêter attention et avoir très bien Casino Royale en tête pour comprendre où sont les liens entre les deux films. Et même dans la séquence finale, celle de la fameuse vengeance, les enjeux sont loin d'être clairs.
C'était en somme une de mes plus grandes désillusions cinématographiques. Quantum of Solace et moi sommes longtemps restés fâchés. Jusqu'à ce qu'il me souffle des mots doux. Et que j'en tombe amoureux.


Amoureux, c'est peut-être un grand mot. Mais disons qu'au bout de quelques visionnages, on finit par mieux comprendre le montage et aussi par mieux comprendre l'histoire. Et une fois que ces étapes là sont passés, et même si cela implique quelques retours en arrière pour être sûr d'avoir bien compris une séquence ("attend, qu'est-ce qui fait tomber Bond à ce moment là... ah ok c'est ce truc qu'on a aperçu une demi-seconde"), un exercice assez fastidieux j'en conviens, on est fin prêts pour se concentrer sur les autres aspects du film. De bons aspects d'ailleurs ! Et il serait dommage de les ignorer car, au final, c'est un film qui tente beaucoup de choses.
Voyons ça en plusieurs points:


Le premier point, c'est bien évidemment Daniel Craig et son interprétation toujours impeccable du personnage de James Bond. Rappelons-nous que ce n'est que son deuxième film dans la peau de l'agent secret et qu'il doit confirmer le fantastique essai qu'était Casino Royale. Il doit nous prouver qu'il est bien 007. Et si Bond en lui-même est peut-être un peu moins intéressant dans ce film que dans le précédent, je pense que je trouve Craig encore meilleur dans celui-ci.
"Houla, tu t'emballes Gag". Mais pas du tout ! Je m'explique. Cette fois, le personnage est bien défini, il se situe dans une évolution logique depuis les événements de Casino Royale, et Craig sait précisément comment le jouer. Il est en très grande forme, au sommet de sa condition physique, il se déplace constamment avec grande classe et il habite l'agent secret avec une vraie conviction, une véritable implication. Par rapport aux précédents acteurs de Bond, Daniel Craig est d'ailleurs probablement celui qui se sera le plus investi dans ce héros iconique, tout au long des cinq films. Il a été véritablement impliqué dans l'écriture, dans l'évolution du personnage. Le fait qu'il y ait autant d'années entre les épisodes a pu aider, mais on sent vraiment que Craig grandit avec Bond et inversement, ce n'est pas un personnage qui stagne tout au long des films comme avec Moore ou Brosnan, ni un acteur superstar qui a fini par ne plus en avoir rien à foutre (oui, je parle de Sean Connery, et revoyez son dernier film canonique - Les Diamants sont Eternels - si vous n'êtes pas d'accord avec ce constat).
Je m'éloigne un peu du sujet, mais cette implication, cette compréhension du rôle qui se construit d'épisode en épisode se ressent déjà dans Quantum of Solace. Et c'est juste formidable. J'adore regarder Daniel Craig être James Bond. J'aime sa froideur, sa brutalité. J'aime le voir se battre dans un ascenseur, j'aime le voir vider un mec de son sang avec un morceau de verre, j'aime le voir renverser une moto d'un grand coup de bras, j'aime le voir sauter d'une corniche pour se faufiler discrètement le long d'un mur pour esquiver les hommes du MI6. James est juste 100% classe dans ce film.


Le deuxième point, c'est la scène de l'opéra. Un formidable morceau d'espionnage comme il y en a beaucoup trop peu dans la série.
Pour la résumer sans trop spoiler, c'est une séquence d'infiltration quasiment muette où Bond s'invite dans une réunion top secrète de la société "Quantum" en prenant la place de l'un de ses membres, récupère intelligemment les infos qui l'intéresse et s'échappe. C'est filmé avec élégance et tout passe par la superbe musique de David Arnold.
Le montage alterne alors les séquences de l'opéra en lui-même et l'échappée de Bond. L'intensité dramatique est au sommet et les choix sonores sont malins : on alterne les moments de purs silences, sans aucun bruitages, ceux où l'on n'entend que les coups de feu pendant que l'on voit les événements tragiques de l'opéra Tosca mis en scène sur les planches, et ceux où l'on n'entend que les chants pour mieux rythmer la course-poursuite de Bond.


En dix minutes, Quantum of Solace offre un véritable moment de cinéma, une vraie proposition visuelle, de construction narrative. Ce n'est pas parfait et ce n'est pas un chef d'œuvre en soi, bien évidemment, mais des propositions comme celles-ci, la série n'en avait jamais vraiment eu jusqu'alors. Sam Mendes ira plus loin dans le "style" avec Skyfall et Spectre, mais en attendant ce n'était pas sur ce genre de terrain qu'on attendait la série. Et mine de rien, Quantum of Solace sert donc de pont entre Casino Royale et Skyfall. D'ailleurs, le film tente d'autres choses du même genre. Par exemple, au début du film, on intercale des plans montrant une course hippique pendant un interrogatoire qui se termine en course poursuite. Le rythme des sabots et les clameurs de la foule finit par dicter le rythme de la poursuite. C'est stylé, un peu étrange tout de même je dois l'avouer et ça ne fonctionne qu'à moitié, mais j'apprécie la tentative. D'autant qu'au fil des visionnages de la franchise, c'est ce genre de petites choses que l'on finit par repérer et apprécier à leur juste valeur.


Le troisième point, et c'est peut-être le seul point scénaristique qui rend Quantum of Solace intéressant narrativement au sein de l'arc Craig, et qui fait qu'il serait dommage de l'esquiver avant de passer à Skyfall, c'est que le film creuse davantage la relation entre Bond et M. Pour moi, ça participe à paver la voie à tout ce qui fera la réussite émotionnelle de Skyfall.
Dans cet épisode, M a de sérieux doutes sur les méthodes brutales de son agent, elle se demande sérieusement si elle peut lui faire confiance. Ce genre de petits duels a plusieurs fois été exploité dans la franchise, et la relation entre M et le Bond de Brosnan était déjà intéressante dans des films comme Le Monde ne Suffit Pas, mais même si les ressorts narratifs sont convenus je trouve qu'ils fonctionnent. Pour un fan de la série, voir la relation de confiance se construire entre M et Bond, sentir qu'ils croient l'un en l'autre alors que tout devrait les pousser à douter, traitez-moi de tous les noms mais moi je trouve ça beau. Simple, mais super cool. Et Judi Dench est évidemment merveilleuse et c'est auprès du Bond de Craig que son personnage trouve toute sa majesté.


Le quatrième point, c'est deux petits trucs inutiles dont tout le monde se fout, sauf moi.
Le premier, c'est que c'est un des rares épisodes de la série où Bond ne se fait pas capturer par le grand méchant. Bond c'est vraiment le champion du fait de se jeter dans les bras du bad guy dans le plus grand des calmes, en criant son nom sur tous les toits, en sachant qu'il s'en sortira car ils ont toujours la merveilleuse idée de le garder en vie le plus longtemps possible. Mais pas là. Ici Bond agit dans son coin et même si, c'est vrai, il manque parfois de peu de se faire attraper, il s'échappe toujours.
Alors peut-être que ça participe au fait que Mathieu Amalric soit un méchant aussi insipide, certes, mais ça je m'en fous un peu.


Le second c'est que j'aime beaucoup Camille, la Bond girl incarnée par Olga Kurylenko. Contrairement à la majorité des Bond girl, elle a sa propre quête, ses propres démons et sa propre vengeance, et elle vit son aventure un peu indépendamment de celle de Bond. D'un côté, elle me rappelle un peu la Bond girl de Rien que pour vos yeux qui, elle aussi, cherchait à se venger et avait droit à son lot de kills assez sympas. Mais ce qui rend Camille aussi unique, c'est sans doute le fait que Bond ne couche pas avec elle, elle résiste à ses charmes. Un fait sans doute unique qui ne se reproduira que dans Mourir peut attendre. Une vraie badass.


Le cinquième point, c'est qu'il s'agit de la dernière partition de David Arnold pour la saga James Bond. Et moi ça me touche.
Succéder à John Barry, ce compositeur de génie, n'a jamais été facile et j'ai rarement été convaincu des OST composées par quelqu'un d'autre que lui. Même dans GoldenEye par exemple, j'aime le film mais j'ai du mal avec sa musique. David Arnold est arrivé avec Demain ne meurt jamais et il a composé pour cinq Bond consécutif et il a vraiment compris ce qui faisait l'essence de la série. Certes, il n'est pas jazzy comme l'était John Barry mais il trouve son propre style, sa propre interprétation des thèmes Bondiens, mais il compose avec une grande puissance musicale. Il transcende les scènes d'actions (la poursuite du port au prince, dans ce film) et crée des ambiances où se mêlent le suspense et de belles mélodies (la fameuse séquence de l'opéra).
Bref, j'adore David Arnold et sa bande son pour Quantum of Solace est un beau cadeau d'adieu à la franchise.


Et voilà, vous savez tout. Ce ne sera sans doute pas assez pour vous, vous continuerez sans doute à saigner des yeux pendant la poursuite en voiture en introduction, vous vous évertuerez probablement à cracher sur la musique du générique par Jack White et Alicia Keys (j'ai zéro objectivité, mais moi je l'aime beaucoup), vous n'arrêterez certainement pas de pester face à ce scénario incohérent, rempli de méchants un peu fades, et qui ne suscite jamais l'émotion promise. Et vous aurez peut-être raison.
Mais à mes yeux, pour un film qui en plus a été bricolé pendant la grève des scénaristes, c'est un épisode qui est à la fois simple et osé. Un épisode qui continue de construire l'ère Craig, qui dans les pas de Casino Royale continue de dessiner sa singularité en multipliant les propositions artistiques, les propositions scénaristiques. Il se prend les pieds dans le tapis plus d'une fois, c'est vrai, mais en tant que fan de la série je préfère mille fois revoir ce Bond concis et incisif, cherchant à créer de nouvelles choses, plutôt qu'un des nombreux épisodes durant plus de 2h et n'ayant rien de nouveau à nous dire et à nous faire vivre.

Critique lue 494 fois

16

D'autres avis sur Quantum of Solace

Quantum of Solace
Jackal
7

Can I offer an opinion? I really think you people should find a better place to meet.

De Sienne à la Bolivie en passant par Haïti et l'Autriche, James Bond cherche à contrecarrer les plans de Dominic Greene, un magnat de l'écologie au service de la mystérieuse organisation criminelle...

le 7 avr. 2011

43 j'aime

33

Quantum of Solace
Docteur_Jivago
6

Permis de Tuer

Cette vingt-deuxième mission pour l'agent Bond, Quantum of Solace, a la particularité d'être une suite directe à son prédécesseur, le remarquable Casino Royale, permettant à l'agent britannique...

le 23 nov. 2014

42 j'aime

2

Quantum of Solace
Ugly
4

Quantum of salade à la noix !

Je me suis volontairement infligé ce revisionnage pour voir si je n'avais pas rêvé quand je l'avais vu en salles, et en fait non, ma note reste inchangée, ce Bond est catastrophique. Voyons voir...

Par

le 16 sept. 2018

38 j'aime

56

Du même critique

Drive
GagReathle
8

You're driving me crazy

Lors de mon premier bout de chemin avec Drive, je n'avais pas été totalement satisfait du voyage. Malgré de sérieux arguments, il n'avait pas su me conduire au septième ciel. Pourtant, au départ,...

le 26 mars 2014

184 j'aime

35

Interstellar
GagReathle
8

Le vrai problème d'Interstellar.

J'ai lu bon nombre de critiques sur le dernier film de Christopher Nolan et j'ai pu ainsi constater que beaucoup de détracteurs s'appliquaient à chercher les moindres défauts du film, les moindres...

le 20 nov. 2014

132 j'aime

55

Fight Club
GagReathle
9

Il est temps d'enfreindre les deux premières règles

Objet d’un véritable culte, Fight Club a marqué les esprits de nombreux spectateurs et a su s’imposer en tant que film quasi-ultime auprès de toute une culture. Du moins, c’est ainsi que je l’ai...

le 27 août 2014

125 j'aime

24