C’est certain, on va reprocher à Paul Haggis d’avoir réalisé un film identique à celui qui lui avait rapporté l’Oscar du meilleur film en 2006 : Collision. Il faut le reconnaître, ce reproche est fondé, tant Puzzle reprend le canevas de Collision : un patchwork de petites histoires de drames personnels, traitées en parallèle et qui finissent par se percuter avec plus ou moins de force. Mais plus qu’un auto-plagiat, c’est peut-être un style (contestable ou non) qui nait sous l’œil de la caméra de Paul Haggis, artiste venu au cinéma par le métier de scénariste.

Avant d’être metteur en scène, Paul Haggis est écrivain de talent, c’était flagrant avec Collision, c’est confirmé avec Puzzle. Son premier coup de maître a été l’écriture du scénario de Million Dollar Baby de Clint Eastwood. Avec Clint, il a ensuite écrit les scénarios de : Mémoires De Nos Pères et Lettres d’Iwo Jima, pour enchainer avec deux James Bond : Casino Royale et Quantum Of Solace. Paul Haggis est aujourd’hui ce qu’on appelle une sommité, un poids lourd du système hollywoodien qui parvient à concilier (chose rare à Hollywood), succès public et critique.

Sans vouloir en faire l’inventaire, une comparaison avec Collision semble évidente. Si les deux films possèdent la même construction, là où Collision finissait par souder toutes ces histoires pour n’en faire qu’une, éminemment dramatique, Puzzle choisi de ne les faire que se croiser, sans réelles interactions. Au plus, nos héros se contente-t-il de se trouver au même endroit au même moment, mais sans jamais se connaître et si les histoires s’influencent les unes les autres, c’est toujours à l’insu des protagonistes. Le choix fait par Paul Haggis semble donc avoir ce résultat : Collision accouchait d’une histoire unique et absolument dramatique alors Puzzle ne sort pas des histoires (trois au total) personnelles de chacun (divorce, adultère, mort d’un enfant), privilégiant le nombre d’histoires sûr l’intensité de chacune d’elles. Du coup sa narration semble moins factice que Collision qui accumulait tellement les coïncidences qu’il perdait en crédibilité.

Paul Haggis est élève de Clint Eastwood, comme un gène qu’ils auraient en commun, un talent dans l’écriture et le portrait de ces gens normaux confrontés à l’exceptionnel. Si Paul Haggis tend un peu plus que son ainé vers le pathos, il n’en garde pas moins une fulgurante capacité à transmettre ce qu’il y de plus profondément humain dans les émotions. Nos peurs, nos colères et nos amours sont ainsi magnifiés par une pellicule au service de la caméra. Haggis, à mi-chemin entre impressionnisme et réalisme, raconte les fêlures de personnages en ruptures avec leur vie, des « héros » à la croisée des chemins avec deux choix possibles : survivre ou tomber définitivement.

Paul Haggis est élève de Clint Eastwood et comme le maitre, il est un formidable directeur d’acteurs. Comment ne pas se réjouir de voir Liam Neeson se souvenir à quel point il a du talent et abandonner (le plus longtemps possible) les atrocités dans lesquelles il a joué ses dernières années ? Il est incontestablement un des plus doués (et des moins reconnus) de sa génération et retrouve ici ce qu’il est aux yeux de quelques-uns, un géant. Olivia Wilde par contre, si elle ne joue pas mal, semble avoir été choisie pour cette scène où elle court nue dans les couloir de l’hôtel. Rien de déplaisant, rien d’exceptionnel non plus. Par contre Mila Kunis explose à l’écran en mère ravagée par un trouble mental et la séparation d’avec son fils, il n’est plus si loin le temps où on cessera de la surnommer Mila « Cul Nu ». Pour finir, James Franco hérite du rôle le moins évident, entre père protecteur et infâme salopard, il jongle entre les deux avec dextérité et promet, une nouvelle fois, le meilleur pour l’avenir. N’oublions pas non plus le toujours excellent Adrien Brody, accompagné de la bombe atomique Moran Atias, qui apporte une chaleur latine incendiaire et torride.

Oubliez donc Collision pour profiter de Puzzle, un film mosaïque qui vous ramènera à votre vie, à vos démons, à vos forces et à vos faiblesses. Un film délicat et sensible qui montre une nouvelle fois que Paul Haggis sait composer une partition cinématographique avec les mots du quotidien. On aime, on déteste, on pleure la mort ou on se rebelle contre elle, on se résigne ou on se bat. Le mérite de Paul Haggis réside en ceci : chacun a en lui une vie exceptionnelle, faite d’événements anodins mais qui, tristes ou heureux, font du quotidien un moment exceptionnel et cet exceptionnel, il est important de s’y attacher.
Jambalaya
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le 28 sept. 2014

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Jambalaya

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