Doucement, comme l’œil curieux et malsain du voyeur, la caméra pénètre dans la chambre des amants.
La chambre obscène de l'adultère où une femme lascive en soutien-gorge est allongée sur un lit.
Le couple vient visiblement de faire l'amour. Le temps est chaud, orageux. Les corps sont moites, transpirants, dégoulinants d'érotisme trouble et de sexualité coupable.
Marion est amoureuse de Sam. Elle ne veux plus de cette situation, elle le veut pour elle, entièrement, pour toujours. Mais la pension alimentaire que Sam doit verser à son ex-femme et les dettes laissées par son père empêchent les deux tourtereaux de clarifier les choses, de transformer une amourette interdite en véritable amour nuptial avec bague aux doigts et respectabilité toute neuve.
Alors quand Marion se voit confier par son patron quarante mille dollars d'une transaction immobilière pour la remettre au coffre, son sang ne fait qu'un tour.
Quarante mille dollars ! Un cadeau du ciel. Avec ça ils pourront s'enfuir, loin, se marier, vivre pleinement leur amour sans penser au lendemain.
Tempête sous un crâne, Marion dérobe le magot et s'enfuit rejoindre Sam.
Tempête sur la route, la pluie vient troubler le regard, brouiller encore un peu plus les pistes. La pluie comme déclencheur; la pluie, l'eau, comme miroir déformant, comme signe de mauvaise augure.
Encore la pluie qui lui fait prendre cette route secondaire. Nerveuse, épuisée, Marion aperçoit alors un motel sur le côté de la route et décide de s'y arrêter pour passer la nuit et remettre ses idées au clair.
Coup de chance, il reste encore des places au Bates Motel.


Quand Hitch décide de tourner Psychose (son 47 éme long métrage), il vient de terminer La mort aux trousses et sort d'une période Hollywoodienne faste ( La main au collet, Sueurs Froides ou Fenêtre sur cour...).
Alfred Hitchcock est le king d'Hollywood. Ses films satisfont public et critiques, les plus grandes stars de l'époque se pressent à la porte de Maître Hitch: Sa carrière est faite.
Mais le caprice d'une star va réveiller le vieil Anglais assoupi par le succès. La grande Audrey Hepburn s’est retirée d’un projet qu’il avait écrit pour elle à cause d’une scène de viol qu’elle juge trop crue.
Tonton Hitch est fou de rage et envoie tout valser. Marre des stars lunatiques, des studios castrateurs et des producteurs radins.
Alfred veut se faire plaisir. Tourner un "petit film". Il décide d'adapter un roman de Robert Bloch ("Psycho") et de revenir au noir et blanc. La vieille gloire d'Hollywood abandonne (pour un temps) les gros studios et s'embarque avec une équipe de techniciens venant de la télé et de son Alfred Hitchcock Presents pour réveiller le Thriller, sortir le film d'épouvante du ghetto cinématographique où il dort depuis trop longtemps et réinventer le suspense; ce suspense dont il est déjà le maître.


Hitchcock est libre. Malgré la pression d'Hollywood, le faible budget et les obligations artistiques dus à son rang, Alfred s'amuse comme un petit fou avec ce scénario simple mais délicieusement retors. L'ancien retrouve ses jambes de vingt ans et laisse déborder sa créativité sur l'écran.
Les mains libres, Hitch se laisse aller et réussit à concilier liberté de ton et maîtrise technique, jeunesse d'esprit et sagesse cinématographique. Hitchcock envahit la série B, l'audace et le génie du maître transcende le film de genre et le hisse à la force du poignet au rang de chef d'oeuvre.
Ce qui n'aurait fait qu'un vulgaire Z de drive-in dans les mains d'un quelconque tâcheron d'Hollywood devient dans les mains d'Alfred un film-phare, le mètre étalon du film d'horreur pour les vingts ou trente piges à venir.
Hitchcock développe les thèmes du Bis. Sexualité, suspense et meurtres sanglants (à l'arme blanche de préférence) sont passés à la moulinette Hitchcockienne. Le maître travaille ses plans en orfèvre:
Plongée verticale, smash cut, jump cut.. Le vieux singe connaît les grimaces, et mieux que quiconque !


Hitch casse les codes et retrouve son âme d'enfant, il va au bout de son idée et griffe jusqu'au sang les tenants du bon goût et autres puritains à cous rouges, en filmant pour la première fois des cuvettes de chiottes pour les uns et le soutien-gorge bien garni de Janet Leigh pour les autres.
Le vieux fait péter les cadenas du cinoche hollywoodien en y glissant sournoisement la perversité et les prémices Gore de la Série B.
Psychose est un film d'anar. Pas un film d'anar gentillet trimbalant son petit drapeau noir de Bastille à Nation, non. Un vrai film de militant anarchiste, insidieux et dangereux. Bakounine et sa barbouze réincarné dans le corps rond et inoffensif du Hitch.
Le vieux force Hollywood à se salir les mains, à regarder ce cinéma ostracisé par les grands studios revenir triomphant par la grande porte.
Tout le métrage renifle le sexe et la mort, tout n'est que signes, sous entendus et allégories. La pluie, la douche, le fils, la mère, la maison...
Hitchcock traite les sujets les plus scabreux et les plus horrifiques avec la finesse et la maîtrise du vieux sage. Le vieux monsieur entre sans frapper dans le cinéma d'horreur et le modernise de fond en comble.
La mécanique est enclenchée. Hitch refonde les bases de l'horreur, manipulant le fond et déstructurant la forme.
Finie l'épouvante à la papa. Fini les Frankenstein, les Dracula et autres momies. C'est un jeune tenancier de motel la nouvelle peur, c'est Norman Bates le monstre.
Avec Psychose, l'horreur vient de changer de visage.


Le coup de poker est réussi. Le coup de bluff du vieil Hitchcock face aux studios Hollywoodiens est passé ric-rac mais a tout raflé. La paire de deux Hitchcockienne vient de bouffer le carré d'as des pontes d'Hollywood.


Le piège a fonctionné. L'horreur vient de rentrer à Hollywood.

Ze_Big_Nowhere
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Tonton Ze Big te fout la trouille .... Ou la chtouille, comme tu veux.

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le 28 avr. 2016

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Ze Big Nowhere

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