Les films sur l''espace ne sont de nos jours pas ce qu'il manque au cinéma, et leur nombre de plus en plus élevé coïncide malheureusement souvent avec une perte de sens et une volonté de moins en moins présente dans des projets comme ceux-ci, celle de réaliser un réel bon film. Ici, Alice Winocour revisite complètement le topos pour en faire une lutte davantage interne chez des personnages tourmentés par des ambitions vertigineuses et leurs relations qui en sont complexifiées.


Tout d'abord, c'est le regard adopté par la réalisatrice qui rend Proxima si intense et beau. Elle laisse en effet planer ses plans sur des durées de plus en plus longues, comme pour insister sur ce qui est réellement important. En l'occurrence, capter le moindre regard, la moindre intention dans la relation mère/fille centrale à l'intrigue. Alternant ainsi entre plans serrés et d'autres plus larges, la mise en scène établit instantanément cette impression de proximité avec le spectateur, et rend le tout étrangement immersif. Car contrairement à d'autres films sur le sujet de la "conquête" spatiale, ici nous est montrée toute la préparation nécessaire à un voyage hors de notre atmosphère, et davantage encore tous les sacrifices qu'elle peut signifier. Winocour ne se concentre donc pas ici sur une immersion totale du spectateur dans une atmosphère spatiale ou lunaire, mais plutôt sur ce qui est intérieur à chacun des personnages, tout en gardant un regard distant, rendu plus fort encore par les circonstances qui accompagnent chacun des personnages.


Eva Green est donc stupéfiante de justesse dans un rôle où elle doit constamment alterner entre les positions, ne rien dévoiler de ses doutes tant ce qui l'entoure est fragile dans sa position si particulière, mais rester une mère attentive aux moindres petits pas d'un enfant qui semble s'éloigner de jour en jour. Car l'échéance, qui plane sur le scénario comme un satellite au dessus de nos têtes, rappelle à quel point chaque moment est précieux, et les difficultés d'abandonner ceux que l'on aime déchirantes.


Le film aborde ainsi la question de sacrifices sous un angle nouveau, et par la relation centrale fait ressortir une sensibilité extrême bien que retenue, sublimée encore une fois par un fin travail du cadre. A chaque moment de cette relation fusionnelle entre Sarah et Stella, les larmes montent et se renforcent tant leur séparation nécessaire nous déchire en mille morceaux. Derrière chaque individu, peu importe son histoire, son métier et son milieu, se cache ainsi un être aimé et aimant, et la vision donnée au personnage démonte ainsi les stéréotypes sur des astronautes formés pour être de véritables robots. Le film aborde aussi la question de la perfection, et nous rappelle à quel point elle reste inatteignable et qu'il n'y a pas de drame là dessus. Etre à la fois une bonne mère et un astronaute exceptionnel relèverait d'un dépassement total de l'humain et de ses limites.


Car le film, derrière cette façade relationnelle, cache aussi en son cœur une réflexion sur cette possibilité. Est-il possible de dépasser une condition qui nous parait chaque jour plus infranchissable? Ici, les limites sont multiples. Un plafond de verre auquel on se heurte, des limites physiques qui sont omniprésentes, tant le voyage spatial complique la notion même de ce qui est physiquement possible ou non. Les limites relationnelles donc, qui sont, comme nous l'avons vu, également très présentes, et questionnent donc sur la capacité à remplir des tâches qui semblent premièrement opposées. Le genre est aussi une limite dans le sens où la stigmatisation est constante et systématisée, dans un milieu très fermé aux femmes et difficilement accessible tout court. La séparation est d'ailleurs constante entre les deux genres, et Winocour s'occupe durant tout le film et parfois un peu maladroitement à la gommer. Effectivement, les remarques et suggestions, bien qu'elles relatent d'une triste réalité, sont parfois moins efficaces que les regards, comme cherche à le montrer la réalisatrice à chaque plan. Bien heureusement, ce problème s'estompe peu à peu et disparait même complètement à la fin du film.


On retrouve donc ici toutes les qualités d'un grand moment de cinéma, qui sait parfaitement émouvoir et faire réfléchir à la fois, et alterner intelligemment entre ces deux idées pour construire une réflexion intelligente sur la conservation de son être durant toutes les étapes menant à un changement ou un évènement. Car la transformation, ici symbolisée par une importante préparation pourrait évidemment être généralisée, et c'est aussi tout le but du film. Proxima propose donc un voyage au cœur de réflexions universelles toujours justes, fascine par son pouvoir, sa force et sa douceur magnifiques et sa sublimation par le talent d'une réalisatrice qui filme comme peu on le fait de nos jours.

Stewart-Bates
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le 6 mars 2023

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Alban Peyrot

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