Les Hommes des Tokyo arrivent sur l’île tel des messagers. Les histoires des divinités ancestrales s'effacent alors au profit des marques vénérant les nouveaux dieux industriels.


L’île Kurage est un lieu anachronique représentant une culture japonaise archaïque. L’île possède sa propre mythologie, ses propres mœurs et coutumes. Le mythe originel – conté magnifiquement par le postier – raconte l'histoire d'un frère et d'une sœur tout deux divins ayant façonné l’île. Ces dieux sont représentés par deux couleurs – le vert pour lui, le rouge pour elle – qui se répondent tout au long du métrage puisque l'équilibre de l’écosystème ne peut tenir que lorsqu'ils sont ensemble, chose imagé avec les deux couleurs peignant le visage du postier. La relation entre ce frère et cette sœur divins se transpose dans le monde des humains via deux « couples » : Toriko et Kametaro, celui dont la supposé relation n'est dû qu'aux rumeurs des habitants ; Nekichi et Uma, celui se rapprochant davantage du mythe et dont la relation incestueuse est avérée. L'inceste n'est admis qu'aux êtres supérieurs. Ces humains, par passion et hybris, braveront les interdits au risque de se faire répudier. De ce fait, la famille Futori est recluse dans la forêt et ses membres sont considérés comme des monstres. Ici il n'y aucune justice moderne, seule la punition divine compte. Pour punir quelqu'un on exclu, on frappe ou, dans le pire des cas, on tue. Ici il n'y a pas de prison, mais de véritables supplices mythologiques à l'image de Nekichi qui a comme but de faire tomber un rocher rouge, se mettant à la tâche comme Sisyphe lorsqu'il pousse son rocher. Malgré cet interdit, ce sera de leurs relations incestueuses (ou non) qu'adviendront les plus grands bouleversements sur l’île. Le conflit entre Kametaro et Toriko – dans une séquence où le jeune tente de copier les coutumes féodales en poussant sa sœur enceinte à sauter d'une falaise – mettra en route la construction de l’aéroport. A contrario, l'acceptation de l'amour entre Nekichi et Uma fera tomber le rocher rouge. Au final, ce sera la mort du dernier couple et celui de Toriko qui plongera l’île dans la tourmente, comme si les dieux l'avaient abandonner.

L’île est régie par une loi divine violente pour les Hommes mais bienveillante pour la nature. Kurage est un lieu idyllique porté par des plans généraux sublimes et des couleurs pétillantes. Imamura sait aussi bien filmer la nature humaine que celle terrestre. La beauté plastique très pure n’empêche pourtant pas le film d'avoir des moments très oniriques étant en accord avec l'aspect ancestral présenté. La séquence où le grand-père défunt prend possession de Toriko est une parenthèse quasiment fantastique dans l’œuvre, mais le résultat finale est épatant. Si certaines folies fonctionnent, d'autres non. Quelques incrustations sont mal faites ou alors too much comme le grand-père apparent dans le ciel comme Mufasa dans Le Roi Lion. Les Hommes, même dans la mort sont au premier plan, cependant, sur cette île ce ne sont pas eux les maîtres des lieux mais tous les autres êtres vivants. La réalisation appuie cet aspect via plusieurs plans tout le long du métrage d'animaux et d'insectes. Ils sont en quelques sortes les yeux des dieux et les gardiens de cette île. Lorsque leur pire ennemi, l'ingénieur, tombera dans un piège nous avons juste après un gros plan sur le regard sévère d'un hibou porté sur l'homme qui, ne le sait pas encore, sera lui aussi un des protecteurs.
L'ingénieur est l'homme de la ville arrivant dans un milieu à l'opposé de la vie qu'il a à Tokyo. Ce décalage fera de lui l'acteur de différentes séquences comiques. Cependant, il reste un véritable danger. Il veut trouver de l'eau coûte que coûte quitte à passer outre la loi de la nature et de la religion en rasant la forêt ancestrale. Pour le contrer, les habitants tenteront divers stratagèmes comme le séduire en envoyant Uma mais sans succès. Néanmoins, et contre toute attente, il succombera aux avances primaires de Toriko, la fille plus simple et celle représentant le plus le « naturel » de l'Homme. Totalement épris d'elle, l'ingénieur quittera mentalement son statut d'homme de la ville et abandonnera ce pour quoi il était venu, prenant ainsi goût à cette nouvelle vie. Cette transition se dévoilera via des plans identiques à ceux présentant dans la séquence introductive Kametaro, l'ingénieur se trouvant sur la plage devant un océan à perte de vue, soulignant alors sa complète acclimatation sur l’île.

Le basculement des convictions de l'ingénieur fera également penché celle des habitants mais de l'autre côté. La situation de l’île est catastrophique, de ce fait les gens se tournent vers la religion mais la noro, de part ses prévisions ratés, les détourne de celle-ci. Le dernier pouvant sauver les coutumes de l’île est le chef, cependant, il est le premier à reprendre le travail de l'ingénieur en obtenant par ailleurs le droit de construction d'un aéroport. Porté par ce nouveau projet, les hommes se mettent à raser la forêt. La nature meurt sous les bulldozer. Il ne reste de ces animaux qu'un lézard coupé en deux. Les habitants ont changé de religion mais la violence reste inhérente aux Hommes. Un gouffre se formera entre eux et la famille Futori, chose représenté par le fossé creusé, dernière évocation du passé, qui sera le théâtre de nombreux actes barbares. En ce lieu arriveront de nombreuses plongées et contre-plongées pour affirmer la domination du monde nouveau à la lumière du jour sur le monde ancien enfoui dans le sol. La séquence où le grand-père bat son fils est représentatif de tout ça. Le grand-père brandit le bâton avec lequel il va le frapper dans un plan qui, avec la contre-plongée, superpose le public avec le bâton comme si le fils allait se fait battre non pas son père et la religion mais par le peuple et sa soif de violence. Les habitants tueront finalement les restes de leur croyances en tuant Nekichi, leurs masque souillés de son sang.


Profond désir des dieux est le constat amère d'un réalisateur sur l'évolution de son pays. Le Japon va vite, voire trop vite. Il oublie les bases sur lequel le pays à été crée et sa propre histoire. Imamura ne veut pas oublier mais il est déjà trop tard, les marques américaines ayant déjà atteint l’île de Kurage.

Flave
7
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Créée

le 9 avr. 2022

Critique lue 34 fois

Flave

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