Tourné en couleur, Profond désir des Dieux est plutôt étonnant. Avec une luminosité constante, de tons orangés et de jeux de couleurs, on retrouve ceux particuliers de l'Anguille adaptation déjà plus optimiste par rapport au matériau initial du livre d'Akira Yoshimura. L'ambiance suffocante de La ballade de Narayama, tourné plus tard, est évitée et le cinéaste ouvre le récit sur l'extérieur, conférant à son intrigue une portée universelle plutôt qu'un regard d'une seule communauté isolée, mais confirme son regard pessimiste. Ce sera ici une dénonciation du capitalisme, et comme toujours d'oppression pour les plus faibles. que ce soit les propres règles du village ou celles venant de la ville.


L'île de Kurage, située dans l'extrême sud où la sécheresse et un soleil de plomb n'empêche pas une pêche abondante, Imamura choisit un lieu propice à l'étude de ses peuples primitifs, bien tranquilles pourtant, entourés d'eau et de peu de prédateurs avant l'arrivée du tourisme à leur porte.


Les projets d'un aéroport et d'une ligne ferroviaire et le laxisme ambiant des habitants pour les travaux à mener à la raffinerie de sucre de cannes, annoncent l'arrivée d'un ingénieur (Kazuo Kitamura) pour veiller à la bonne marche de l'ensemble, et amener l'eau de source à l'usine. Son arrivée impromptue ravivera les tensions pour cette production qui devait apporter prospérité et qui n'a vu que les rizières asséchées. Inquiétant les villageois par son influence extérieure, et par son ignorance des traditions, l'ingénieur, lui sera séduit, et se met à rêver d'une vie meilleure, ici même, profitant des bienfaits de l'île. Peu courageux, il repartira pour revenir quelques années plus tard vérifier l'avancée du progrès et ses comportements rendent compte de la dangerosité de l'intrus.


Dès l'introduction, insectes, poissons, papillons, serpents et autres requins affamés, sont autant d'interludes du cinéaste pour filmer la faune de cet environnement idyllique en regard de l'agitation de l'homme.
Un environnement bon-enfant qui cache ses secrets, et où l'inceste répond à une vie en autarcie. Mais Nekichi (Rentarō Mikuni) déclaré coupable de son union avec sa sœur Uma, (Yasuko Matsui), est enchaîné durant 20 ans. L'île de Kurage, enfant illégitime né de l'union d'un Dieu et d'une Déesse, l'homme lui rappelle-t-on, n'a pas le droit d'imiter les Dieux. La famille Futori incestueuse de père en fils se voit mise au ban du village pendant que d'autres s'accordent certaines libertés tout autant répréhensibles sous divers prétextes. Tous bien peu recommandables et soumis à leurs pulsions, mené par le chef du village, poussant les plus avides à vendre les terrains de l'île.
Nekichi las de sa condition, décide de se sauver avec sa sœur. Poursuivi par les hommes du village, masqués tels des Dieux vengeurs hypocrites, la scène marque par sa rapidité d'exécution et sa radicalité, où l'espoir de liberté se voit rattraper par les traditions ancestrales et tenaces.


Dans cette curieuse cacophonie, aux scènes souvent répétitives, entre légende et réalité, traditions et modernité, les plans s'enchaînent entre distance, nous plaçant tel l'ingénieur, étranger à ce fourmillement, et enfermement avec tout ce que cela implique de promiscuité, de dérives mais aussi de propre sauvegarde. L'immersion sur presque 3h accuse quelques longueurs, mais réussie à brosser un portrait savamment dosé entre drame et légèreté, enjeux sociétaux et libre arbitre.


Imamura use d'intervention divine aussi rapide qu'efficace et on se contentera d'un univers semi-fantasmagorique toujours en filigrane chez le cinéaste. Une bande son lancinante participe au ton surréaliste avec ce musicien, témoin du temps qui passe, parfaitement théâtral, récitant sans cesse à ceux qui veulent l'entendre, la légende de Kurage, bientôt remplacée par celle des deux amants, telle une victoire sur les Dieux.

limma
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le 29 juil. 2021

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