Les films sur les présidents fictifs ou réels des démocraties soumises à la dictature du marché et de la croissance ont toujours eu cette faculté déconcertante d'être des propagandes en puissance.
Est-il possible d'avoir un film qui puisse parler du pouvoir sans avoir à faire le culte de la personnalité ou la promotion d'un système socio-économique ? ("Le candidat" peut-être ?)

Je re-donne ici la définition de propagande : il s'agit de tout procédé ayant un impact sur la psychologie collective et individuelle de sorte à en influencer les perceptions.

Ici, nous avons un film de démocrate américain et de politicien (dont le porte-monnaie dépend plus de la démagogie et de l'opportunisme que de la conviction profonde). C'est déjà une belle orientation, non ?

A l'heure où un blanc peint en noir brigue un deuxième mandat à la Maison Blanche, il est intéressant de voir ce film, comme il se détourne de ses objectifs. Quel est le problème racial aux USA ? Pourquoi les minorités, femmes et immigrés sont-elles reléguées au second voire troisième plan ?

Je ne m'excuserai pas d'utiliser un langage peu châtié pour évoquer des choses graves mais il se trouve légitimer par le personnage de Billy Bob Thorton, un sudiste phallocrate fier de l'être - le genre de personnage abject qu'on aimerait tous avoir à table à Noël rien que pour fuir la tradition.

Paradoxalement, et même si les enjeux sont multiples (un peu trop à vrai dire pour décomplexifier le sens du film), Primary Colors est un bon film pour observer le rôle d'un noir au service d'une campagne pour les blancs, pour montrer à quel point il est une marionnette, qu'il est là pour là sincérité, pour représenter une minorité et jouer les bouche-trous médiatiques.

Si d'un côté, il n'échappe pas à l'hyper-personnalisation du pouvoir et n'évoque pas les vrais enjeux de société, le film est d'un autre côté est une critique qui s'évade à certains moments. C'est donc par un bien suggéré que Nichols nous emmène de sorte à lire entre les lignes. Ne pas attaquer de manière frontale. C'est comme en politique ! Ainsi entre les attaques ad hominem bien loin de la politique, entre cette scène dans une boutique de Donut's, les sondages, les coups de communication, il y a des percées qui basculent le film, alternant tour à tour propagande officielle, officieuse et un questionnement à propos de ce que nous regardons.

Interview à la télévision de Stanton :

Travolta/Stanton - "Ce qui intéresse les gens, c'est l'avenir de sorte à ne pas tomber dans la récession.
Une dame dans un café, devant la télé - "Il n'aurait pas grossi ? On dirait qu'il a pris 20 kg...
Une autre dame - "Elle est bien coiffé sa femme".

La scène dans la communauté juive est pas mal aussi car elle est signe d'un discours adapté pour mieux diviser.

Aussi, au travers d'une tapineuse de chantier et d'une procédure contre le gouverneur queutard, le message politique est certes brouillé mais le sens du film demeure intact puisque le cinéma est l'occasion rêvé d'exercer un recul, d'avoir un autre regard... et un autre son de cloche.

Plus le film avance, plus le réalisateur prend le choix de décentrer la narration vers l'équipe qui travaille pour Stanton, tout en parlant exclusivement de lui - n'oublions pas qu'il est le messie ! Il devient alors intéressant pour décrypter le parasitage de la politique en Amérique (et encore, on n'évoque pas Dieu ou le "charisme" !). Mais, las de lire entre les lignes, le film finit de prendre parti en faveur de la sauce qu'on sert à chaque campagne : une élection comptable et sensationnelle, mettant en avant une presse contre-pouvoir (tss...)

Quant au noir de service, Henry Burton, nous avons signifié son rôle mais pas sa trajectoire. Il incarne la vérité. La vérité chez Stanton est flexible et à ce titre, elle n'est pas fiable. Henry Burton est la vérité. Au début. Il est celui qui se bat pour la veuve et l'orphelin de manière si libérée, idéaliste qu'il paraît crétin sinon... opportuniste. A l'occasion d'un énième scandale, il est bien vu comme un faux-cul et un faire-valoir pour la communauté noire. Burton se complaît dans cet exercice, ce qui assoit les positions de la classe dominante à propos des minorités avec un de ses plus célèbres adages : "Quand on veut, on peut". Or nous savons très bien qu'Henry Burton s'est vu remettre une place en or pour son avenir et non par sa volonté. Il est là pour sa couleur et non pour ses qualités - et ce, jusqu'à la fin, même quand Henry prend pleinement conscience, le regard sans âme, du pantin doublé du laquais qu'il est.

Par conséquent, ce film dans son ambivalence est aussi bien une traîtrise qu'une satire détournée (sans acidité) qu'il n'est guère possible de trancher tant il joue avec nos perceptions dans ce décor du Sud des Etats-Unis, anciennement sécessionniste, à la fois fait d'espoirs et de désillusions systématiques.
Andy-Capet
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le 18 févr. 2013

Modifiée

le 18 févr. 2013

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