Diffusé hier soir à la télévision, ce qui fut pour moi l'occasion de la découverte, Permier de la classe m'a impressionnné par la justesse de son écriture, qui bénéficie d'un équilibre subtil entre rire et gravité.

Abou est un jeune homme débrouillard et à l'esprit vif. Très vif même. Capable des subterfuges les plus ingénieux afin de cacher à ses parents ses résultats scolaires paradoxalement catastrophiques. A l'approche du conseil de classe et du risque de voir son statut de cancre être découvert par son père, un homme pour qui le travail doit primer sur tout le reste, il tente le tout pour le tout et recrute dans son entourage direct de faux enseignants, ou à l'inverse, un faux parent, le tout pour masquer aux uns et aux autres sa situation désespérante.

Bien entendu, le plan est trop ambitieux. L'excès de confiance du jeune homme qui "recrute" des voisins loufoques et incapables de tenir correctement leur rôle, fait que le stratagème se retourne contre lui. Percé à jour, au pied du mur, il doit pour éviter d'être "balancé" à son père se plier aux éxigeances de Mme Martin, sa prof de techno elle-même aux prises avec des conditions de travail indignes qui la poussent à la résignation et même à devenir "une prof de merde".

"Tu m'as mis le nez dedans" dit-elle à Abou qu'elle n'entendait pas aider initialement, mais que sa propre fille a pris en amitié, et plus vu l'affinité. De plans foireux en plans foireux, Abou et ses alliés tentent de survivre jusqu'au lendemain, et en bout de course, jusqu'à l'entrée au lycée. Mme Martin de son côté espère cacher à l'inspecteur d'académie son incapacité à produire des résultats probants compte-tenu du matériel délabré que ce dernier lui a fourni.

Feel-good dramatique

Ce récit permet à l'auteur d'évoquer un nombre incroyable de sujets sociétaux tout en exposant les constats les plus graves. L'école est à bout de souffle, au propre comme au figuré. Les enseignants font de leur mieux pour garder le moral et leur motivation, mais tout en se noyant dans le cynisme et les soupirs. Les parents d'Abou placent leurs espoirs dans leurs enfants, en leur souhaitant une vie meilleure que la leur. Son père qui peine à manifester son amour autrement que par l'exigeance qu'il inflige à ses enfants ne sait pas lire, n'est pas très éduqué, et ne peut donc s'enorgueillir que de ses efforts de prolétaire. Et assez vite, lorsqu'il laisse tomber l'armure, il manifeste en réalité de la honte. Ses mains d'ouvrier, il ne les aime pas. Son dos voûté lui rappelle sa petitesse.

Beaucoup d'éléments du récit pourraient ainsi plomber l'ensemble du film. Mais l'équilibre entre ce paysage de désolation et l'aspect feel-good de gags toujours réussis permet malgré tout de passer un moment extrêment agréable. Cela tient d'une écriture indéniablement savante qui trouve l'alchimie entre la noirceur du contexte et l'énergie de ses personnages.

Exemple simple : les habitants recrutés pour jouer les faux enseignants ont en réalité tous un passif extrêment sombre. A l'image de cet ancien légionnaire qui souffrant d'un syndrôme post-traumatique met toujours un temps incroyable à répondre à la moindre question. Ou cette ex-enseignante internée suiute à un burn-out, qui bafouille, semble avoir l'esprit surchargé et tente de tenir en déployant d'énormes éclats de rire. Leurs façons de s'exprimer qui trouvent une justification dans le malheur sont pourtant concrètement amusantes. Dans un mauvais film, nous n'oserions pas en rire.

Mais cette désolation, c'est le quotidien. Alors ceux qui la vivent doivent faire avec et prennent sur eux. A l'image de Abou, tous ont une force en eux, une énergie et une étincelle. C'est en se réunissant les uns et les autres qu'ils en font usage, et s'avèrent capable de produire de petits miracles.

D'une telle comédie en milieu urbain on pourrait crainde un niveau de langage trop familier pour être naturel, mais ici pas d'abus. Les jeunes ne sont pas seuls à jurer, une distinction parfois trop grossière pour être naturelle. Mme Martin y va de son "putain de merde", le père désigne son fils cachotier en l'appelant "salopard". Les adultes ne sont pas des modèles de réussite, frustrés par une vie parfois compliquée, qu'il faut aborder en avalant constamment des couleuvres. Logique et même bienvenu donc de les entendre manifester leur frustration.

A l'inverse, les gamins qui se lâchent parfois sont parfaitement capables de tenir des conversations sans être dans une mauvaise caricature "wesh susu". C'est un aspect important de ce film, il me semble.

Parmi les bonnes trouvailles de mise en scène et d'écriture, un fil rouge sur le hobbie du père, qui s'ennuie à la maison ne pouvant plus travailler. Celui-ci construit une Tour Eiffel façon Meccano/Eitech. Cet objet symbolise beaucoup de choses. Il illustre la grandeur et la fierté du père qui croyant voir son fils promis à un avenir de ministre, voir de président, espère légitimement qu'il ira tutoyer les sommets. A plusieurs reprises durant le film, on constate que l'édifice prend forme. Jusqu'au jour où ce père si rigide habituellement se met à danser, prêt à reprendre le travail, et faisant face à cette Tour Eiffel complétée, et ornée d'un joli phare. Moment de satisfaction vite brisé par l'aveu du fils qui ne peut plus continuer à vivre avec le poids du mensonge. Le père qui voit sa confiance trahie et qui découvre que ses efforts de parent n'ont visiblement jamais porté leurs fruits jette sa propre création au sol, et celle-ci se brise.

Voilà un exemple de pur intelligence symbolique et cinématographique ; lorsqu'un seul et même objet, d'apparence anodine, transporte tant de significations. La grandeur, la fierté, du p-re d'abord, mais aussi de la France. Car c'est bien un monument à sa grandeur qu'il assemble, en modèle réduit. Et sa croyance en une quasi perfection de la République et de son école vole à son tour en éclat, lorsqu'il réalise que cette école souffre d'un indigne manque de moyens.

Encore une fois, dit comme ça, on croirait qu'il s'agit d'un film "social", d'un drame, de quelque chose de lourd. Et pourtant jamais ces constats et ces messages politiques n'alourdissent le récit ou empêchent de rire régulièrement grâce à la mise en scène extrêmement efficace et surtout grâce à cette écriture dont la principale qualité est le sens de la mesure.

Seule une séquence m'a semblée hors du réel et trop caricaturale pour être crédible de façon intrinsèque. L'explosion de colère de Mme Martin qui finit elle aussi par ne plus pouvoir avancer tout en cachant la réalité de son quotidien à son supérieur l'inspecteur d'académie. C'est le moment de vider son sac, et malgré la satisfaction qu'on peut ressentir à ce moment, c'est "trop beau pour être vrai". Hors du film, dans notre réel à tous, on imagine mal une telle situation, car ce mensonge là, la frustation liées à des conditions de travail détestable, c'est celui de millions de concitoyens qui eux aussi finiront le dos voûté et s'y préparent déjà en se repliant sur eux-mêmes, en se faisant oublier et finalement en jouant le jeu de l'indignité.

Mais, ceci dit, la convention établie dans ce film, entre rire et gravité, permet d'accueillir cette scène comme un soulagement, une forme de catharsis puissante. Je me dis même que l'on peut y voir une séquence de pure expression de l'auteur, qui s'adresse symboliquement à l'Éducation Nationale, cherchant éventuellement à "rendre service" aux enseignants de notre pays, le temps d'une déclamation symbolique, irréelle, mais diablement ancrée dans le réel. On remarque à ce moment que l'ex-enseignante qui ne parvient généralement pas à s'exprimer avec aisance semble alors retrouver ses moyens. Une idée cohérente, c'est le burn-out qui la consumait de l'intérieur, qui la faisait fourcher sur le moindre mot complexe. D'un coup face à l'opportunité de dire ce qu'elle garde pour elle depuis si longtemps, elle explose et s'allège d'un poids.

En bref ; les gags sont très bons, permettent réellement de rire et de prendre du plaisir, c'est un humour parfois simpliste à l'image du slapstick, parfois reposant davantage sur le langage et la folie des personnages, mais jamais il ne semble déplacé ou "mauvais". Il contre-balance à merveille tous ces aspects sociaux qui en eux-mêmes ne devraient pas prêter à rire.

Autre élément d'intelligence et de mesure : jamais on n'a le sentiment de voir le petit banlieusard de couleur être secouru par une adulte-enseignante blanche qui lui serait supérieure ; Mme Martin n'est pas parfaite, loin de là, et triche aussi quotidiennement. Finalement, ils tenteront de tricher ensemble, et choisiront de dire la vérité chacun leur tour, sans doute inspirés l'un par l'autre. Une belle façon de créer des situations et des images de partage, de vie en commun et de soutenir l'idée que "nous sommes tous dans le même bateau". Cela ne passe pas non plus pour un militantisme mal placé, il n'y a pas d'excès qui puisse motiver un discours politisé et négatif à l'égard de ce film, dans le style "c'est de la bien-pensance/encore de la propagande woke blablabla". Celles et ceux qui tiendraient ce discours pour qualifier ce film, il me semble, ne seraient en fait pas de celles et ceux qui l'ont vu. Mais qui, comme bien trop de gens ces derniers temps, se contentent d'un synopsis ou de quelques plans vus dans une bande-annonce qu'ils coupent rapidement persuadés d'avoir saisi. "Encore un film qui va nous forcer à penser ceci ou cela". Pas du tout. C'est simplement du très bon cinéma, et c'est se priver de bonnes choses que de passer à côté de telles oeuvres.

Équilibre, justesse, complexité de l'écriture qui sait à la fois être légère et sociale, casting merveilleux et efficacité globale me font dire en tous cas que c'est une belle copie.

"Encouragements!"

A63N
8
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le 27 août 2022

Critique lue 63 fois

A63N

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