C'est marrant il y des films dans lesquels on pénètre instantanément, dès les premières images.
Une sorte d'envoutement visuel et auditif instinctif qui met dans les meilleures dispositions, et qui prépare de la meilleure des manières à la suite. Parfois, la suite est décevante. Parfois pas du tout.

Portrait de femme fait évidemment parti de cette deuxième catégorie.
Ces premières secondes magiques sont d'autant plus miraculeuses qu'elles ne ressemblent pas du tout à ce qui suit (ce sont des images et des citations auditives de femmes actuelles, modernes, avant que le film plonge dans la deuxième moitié du XIXème siècle, dans lequel se situera la totalité de l'histoire). Pourtant, une ambiance s'est imposée.
La musique comme toujours splendide de Wojciech Killar y est certes pour beaucoup. De la fusion organique du son et de l'image nait la magie. Introduction orgasmique.

Évidemment, cette entrée en matière n'a d'autre sens que de nous pénétrer immédiatement de l'idée Proustienne (OK j'me la pète, mais en même temps je suis en train de lire Marcel, -ah merde, j'me la pète encore !-) que les tourments de l'âme humaine sont éternels (et je préviens: je ressortirai cette phrase dans la critique qui viendra bientôt du "côté de chez Swann").

Suivre les affres sentimentales d'Isabel Archer, tirés du roman d'Henry James (pas lu, lui) est évidemment bien plus intense que d'assister à une collection de scènes charmantes ou tragiques d'une figure aisée d'un siècle rigidifié par les convenances et les codes moraux. Le portrait de cette femme (c'est quand même le titre) qui veut préserver sa liberté le plus longtemps possible car "elle n'a pas peur de la vie" est d'autant plus émouvant que détaché des codes du genre cinématographique (cette fois) habituellement utilisé pour illustrer de telles histoires.

Car la mise en images de Jane Campion est un festin permanent des yeux. Oscillant entre le surprenant et le somptueux, chaque nouvelle scène est l'occasion une surprise que l'on attend un peu plus impatiemment alors que le film avance.
Côté casting, une certaine idée du bonheur: John Malkovich, Viggo Mortensen, Martin Donavan, Richard E. Grant, Christian Bale pour les (beaux) mâââles, Nicole Kidman, Barbara Hershey, Mary Louise Parker (bon, pas complètement à son avantage) chez les dames, une sacrée troupe qui contribue amplement à la qualité globale de l'expérience.

Cependant, tous ces éléments ne doivent faire penser que le film pourrait être réussi techniquement là ou il pècherait émotionnellement. Tout au contraire, ils servent le propos du film, qui est de cerner au plus près ces destins qui ne connaîtront jamais l'apaisement de l'âme.

Bref, aucune faille dans ce magnifique édifice: scénario et dialogues, cadrages, costumes, acteurs, réalisation, un sans faute édifiant qui nous pousse, pantois et comblés, vers un générique de fin redouté, parce qu'annonçant la fin.

Alors c'est sûr, il est de ces films qui s'apprécient davantage alors que la vie a déjà fait en nous un bout de chemin, nous permettant ainsi de savourer pleinement des subtilités qui nous eut échappé 20 ans plus tôt.
Néanmoins, si, comme moi, vous aviez raté ce film il y a 15 ans, sachez que cela peut se révéler être un atout si vous étiez peut-être encore un poil jeune à l'époque. Si, contrairement aux grands crus, cette oeuvre-là ne se bonifie pas intrinsèquement, votre âme, elle, lui réservera à chaque nouvelle vision un plaisir grandi par le plaisir accru des sens et la subtilité affinée des sentiments.

Bon, c'est dit d'une manière un peu pédante. On va essayer autrement. Si t'es fan de Wasabi et de Taxi, n'essaies pas.

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le 9 août 2011

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guyness

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