Poursuivant ma découverte de l'œuvre cinématographique de Pier Paolo PASOLINI avec toujours autant d'enthousiasme et de plaisir, c'est aujourd'hui son film Porcherie (1969) qui à l'instar de ses autres films a suscité controverses et essuyé les foudres tant de l'Eglise que de la censure, mais qui cette fois n'a pas été un succès publique et a longtemps été invisible faute de sorties physiques. Néanmoins malgré une forme inhabituelle il contient encore des pistes d'analyses et de lectures absolument passionnantes que je me propose aujourd'hui d'humblement vous proposer.


Le film se divise en deux segments, qui ne sont pas montés dans un ordre chronologique ou d'affilés, mais qui alternent l'un avec l'autre et sont pensés comme l'antithèse l'un de l'autre.


Le premier segment, muet à l'exception d'une phrase prononcée à la toute fin par le héros, nous plonge dans une époque archaïque, historiquement impossible à situer avec précision, une époque où l'Homme apparait dans son animalité primale, une époque encore vierge de toute idée de société humaine, absence de villes, absence apparente de hiérarchie politique. Là un homme nomade, perdu sur les pentes d'un volcan illustrant la part sauvage d'un monde protohistorique, à l'aune d'une rencontre inopinée avec un soldat isolé de son détachement commet l'acte tabou par excellence de cannibalisme.


Le second segment, a contrario très verbeux "tralala", nous entraine dans l'Allemagne de l'Ouest de la fin des années 60, une Allemagne qui voit encore au sein de sa police, de ses élites politiques ou des ses grands noms de l'industrie les derniers dignitaires nazis opérer. Là un jeune homme issu de la grande bourgeoisie entrepreneuriale refuse l'amour que lui porte une jeune femme, car il a une attirance sexuelle pour les porcs.


Tandis que les actes inconcevables du premier segment sont paradoxalement l'alpha de la naissance d'une petite communauté autour de ce jeune homme, qui semble autre paradoxe douée d'une humanité déjà forte, les tendances zoophiles tout autant inconcevable de celui qui incarne l'homme moderne l'isolent de ses semblables et le condamnent presque de façon biblique aux tourments infernaux.

Néanmoins Pier Paolo Pasolini dans une geste radicale, insolente et d'une rare intelligence, préfère renvoyer dos à dos ces deux mondes opposés surtout par l'idée de la présence ou non d'une société des hommes sensée poser les carcans moraux qui nous séparent de l'animal en laissant les actes du premier segment se dérouler comme des passages obligés dans une évolution vers l'humanité contrainte d'en passer par là et en faisant des actes du second segment des alibis pour que le père du jeune homme et un ancien camarade de l'époque nazie se voient contraints eux de le taire pour chacun sauver sa position sociale.


De cette façon Pasolini dénonce une fois de plus le néo-libéralisme qu'il considère comme avilissant mais surtout comme étant l'ultime incarnation de la déshumanisation d'une société qui aura beau se draper dans ses considérations morales de façade mais n'en demeure pas moins aussi sauvage et animale que l'époque archaïque qu'elle pense avoir dépassée.


Le lien voulu par Pasolini pour confronter ces deux époques diamétralement opposées en théorie se révèle selon moi dans deux actes forts. Le premier est la prise de parole tardive mais réelle de l'homme du passé quand dans le même temps, le jeune homme à la logorrhée permanente se mue lui dans une catatonie muette. Le second tient dans le final commun aux deux époques, la communauté cannibale des temps passés qui finissant par se faire prendre sera condamnée à être dévorée par les bêtes sauvages comme un premier pas vers l'homme pour qui manger ses semblables sera tabou, et le jeune homme moderne, moral à priori, sera lui dévoré, sous l'œil incrédule des paysans, par les porcs. Achevant cette perversion métaphorique par un geste intiment le silence, symbole lui du secret qui préside à un monde moderne qui préfère se cacher ses tendances tabous.


Dérangeant, iconoclaste, radical, ce n'est pas la meilleure porte d'entrée selon moi à l'univers de l'artiste italien, mais l'on peut déjà y voir comme l'antichambre pestilentielle de son monument Salo ou les 120 jours de Sodome (1975).

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