Parmi tous les grands noms qui ont fait leurs débuts durant le Nouvel Hollywood, celui de William Friedkin revient inévitablement. Révélé par le succès de French Connection, l'auteur américain devient très vite un professionnel des œuvres noires et désespérément nihilistes, où l'homme devient un monstre en proie à ses pulsions. En 1977, Sorcerer permet déjà à Friedkin de servir une œuvre totale, dont la folie qui s'en dégage parvient miraculeusement à égaler le chef d'œuvre original de Clouzot. Seulement, l'échec commercial cuisant du film, lorsqu'il apparait sur grand écran en face du premier Star Wars, freine très rapidement la carrière de son auteur. De fait, les œuvres qui suivent, que ce soit Cruising ou encore Bug, bien qu'auréolés qu'un succès d'estime certain, ne reproduisent jamais les coups d'éclat de ses débuts.
Police Fédérale Los Angeles en sera d'ailleurs une des victimes. Reconnu aujourd'hui comme une de ses meilleures réalisations, il n'en reste pas moins qu'une semi-réussite lors de sa sortie en 1985, ses 17 millions de bénéfices étant loin des 51 millions occasionnés par son premier polar. Pourtant, malgré cet échec relatif et sous ses apparences d'actionner typique de cette période, To Live and Die in L.A, de son titre original, se révèle être un polar passionné et passionnant, plus proche de l'esprit du Nouvel Hollywood que du cinéma américain des 80s.


Le soleil se lève sur la Cité des Anges et l'argent coule déjà à flot, alors que la mélodie électronique de Wang Chung résonne et que défilent les noms du casting dans une police d'écriture criarde, déjà ringarde pour son époque. Les deux figures héroïques, Richard Hance et Jimmy Hart, s'introduisent au cours d'un premier coup d'éclat, où la vivacité du premier et le caractère désabusé du second ("I'm getting too old for this shit") préfigurent d'ors et déjà les Martin Riggs et Roger Murtaugh de L'arme Fatale, sorti deux ans après.
Pour toute personne qui s'arrêterai à cette simple séquence, le film de Friedkin peut aisément laisser sur le bas côté. Seulement, sous ses quelques saillies esthétiques introductives qui feraient presque rougir le Cobra de George Pan Cosmatos, sous son duo qui semble inscrire le long-métrage dans le carcan du buddy-movie très en vogue à l'époque, sous son antagoniste campé par un Willem Dafoe aux airs machiavéliques et sous certaines séquences d'action qui paraissent prôner une justice expéditive, Police Fédérale Los Angeles cache au fait bien son jeu, qui s'apprête à démanteler tous les faux-semblants préalablement établis.


À partir de là, Friedkin s'amuse à gratter sous la surface de tous les clichés et abat petit à petit ses cartes. La mécanique du buddy-movie est rapidement évacuée et détournée, l'ultra-violence ainsi que la nudité dévoilées au grand jour surprennent tandis que les différents personnages abandonnent très vite leur apparent manque d'épaisseur au profit de caractères plus nuancés que prévus. En effet, Friedkin oblige, tout ce beau casting n'est pas là pour montrer des muscles pendant deux heures, à l'inverse des figures adulées de l'époque qu'étaient Stallone, Van Damne ou Schwarzenegger. Par exemple, Richard Chance, le personnage de William L. Petersen, est bien loin de la figure héroïque unidimensionnel, qui caractérisait l'idéologie reaganienne de cette époque-ci.
Pour Friedkin, il s'agit de dynamiter l'actionner moderne, en mettant à mal toutes les valeurs qu'elle cherche à porter à nues, à commencer par son héros impulsif et immortel. Dès son premier acte de bravoure qui ouvre le film, Richard Chance manque déjà "d'exploser en vol". En précurseur de Martin Riggs, il semble ainsi concevoir toute son existence sur ce jeu constant et conscient avec la fatalité. Son lobby, le saut à l'élastique, témoigne d'une sorte de défi que le personnage semble s'imposer, faisant de la faucheuse son camarade de jeu. L'auteur américain annonce donc la marche à suivre et creuse dorénavant le sillon de French Connection, en reprenant la même personnalité qui animait le personnage de Jimmy Doyle. Ainsi, à l'instar de celui-ci, le récit va alors prendre à parti cette vision déformée et problématique de l'héroïsme, qui fait de l'adrénaline et de la violence son principal moteur, pour en montrer les nombreuses failles et dérives.


De fait, Friedkin fait lentement évoluer ses personnages vers des méthodes plus extrêmes et discutables, où chaque pas en avant dirigeant vers Eric Masters, trafiquant de drogue qu'interprète Dafoe, les pousse toujours un peu plus vers l'illégalité, mais aussi vers une coupure, vers une séparation avec le monde extérieur. À l'inverse du film de Richard Donner évoqué précédemment, la brutalité dans lequel il s'enfonce n'est ici jamais légitimée et fonctionne comme un cercle vicieux, qui détruit peu à peu de l'intérieur tout leur microcosme et rend aveugle ses "héros" face à leurs propres actions, face à leur propre incapacité à se détacher d'une vengeance qui ne mène à rien. Masters, sous sa simple figure d'antagoniste, n'est finalement rien d'autre que le reflet de Chance, réduisant ainsi à néant les dernières notions de manichéisme auxquels le spectateur s'attachait désespérément.
Pourtant, jamais le cinéaste n'appuie son jugement sur ses deux personnages de flics par une moralisation à outrance, dans laquelle certains cinéastes modernes comme Kim Jee-woon (J'ai rencontré le Diable) tombent complétement. Au contraire, Friedkin, en réalisateur subtil qu'il est, s'abstient de tout effet grossier ou vulgaire et base toute son étude de personnages sur une prise de distance discrète, plaçant sur un même pied d'égalité la violence employée par les deux camps, afin de simplement dévoiler leurs similitudes. Jamais outrancière ou esthétisée, cette dernière n'est que crue, viscérale et donne au film un goût âpre, réel, renforcé par le jeu constant avec l'environnement.


Par la gestion de l'architecture de L.A, de cet espace poisseux et de la place des hommes dans celui-ci, le cinéaste se permet une remise en question de leurs valeurs et interactions, dont un cinéaste comme Michael Mann s'inspirera d'ailleurs grandement, via des œuvres comme Heat ou Miami Vice, où le bitume et la froideur des décors reflètent sur l'ensemble des personnages. Ces derniers ne sont donc pas simplement nés violents, ils le sont devenus en côtoyant une cité qui n'a désormais plus rien d'angélique.
La course-poursuite culte sur l'autoroute, point de pivot du long-métrage, marque finalement tout le triste constat que déploie l'auteur et dresse le film comme une réponse directe à Sorcerer. Alors que le second se construisait sur l'espoir d'un impossible retour à la civilisation, la route de Police Fédérale Los Angeles se prend, elle, à contre-sens et éloigne irrémédiablement l'Homme de toute la société. Qu'ils soient braqueurs, terroristes, faux monnayeurs ou simples escrocs, tous ces Hommes sont alors reliés par cette même spirale de violence, de laquelle ils ne peuvent s'échapper et qu'ils sont condamnés à répéter inlassablement.


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PaulPnlt
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le 13 févr. 2021

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