Le premier long-métrage Pokémon nous offrait déjà une fable écologique, calquée sur le modèle d’Akira, lui-même issu de Frankenstein : l’homme créait un pokémon surpuissant (Mewtwo) pour avoir une arme à son service, mais l’arme en question ayant accédé à la conscience, celle-ci échappait à son maître et bouleversait l’équilibre du monde. L’aspect cyberpunk (laboratoires, gros fils partout, clones, etc.) du premier opus est cependant absent ici, remplacé par une atmosphère archipélique. (D’ailleurs, quand je lis la première section d’Amers de Saint-John Perse, « Des villes hautes s’éclairaient sur tout leur front de mer... », c’est immédiatement la ville où arrive Sacha au début de ce film qui me vient à l’esprit. Mais passons.)


Les héros, sur l’archipel des Îles Orange, arrivent dans une ville en front de mer où ils sont accueillis par une fête traditionnelle : personnages masquées, danses autour du totem. C’est essentiel, car animisme et totémisme sont le cadre de pensée de tout cet opus. Juste avant, on nous a montré la figure du « collectionneur », dirigeant une grande machine volante (dans laquelle on retrouve alors des éléments cyberpunk, mais cela reste à la marge), incarnant la technologie dans sa force la plus massive. Le méchant de l’histoire se sert de cette machine pour faire sortir trois pokémons légendaires de leur île, et ainsi « rompre l’équilibre » et faire émerge « le gardien des abysses », à savoir Lugia. On a donc bien encore un savant fou (comme Giovanni dans le premier film) qui se sert de la technologie pour assouvir son inextinguible soif de pouvoir.


On a donc bien une dichotomie apparemment simple : mode de vie traditionnel (totémisme et animisme), respectueux de la nature et de « l’harmonie » (le mot est répété comme leitmotiv), contre la technologie violant les équilibres et entraînant de grandes catastrophes. Il n’est pas anodin que les catastrophes ici décrites soient climatiques : la prise de Sulfura par le collectionneur entraîne la disparition d’un courant marin, lui-même créait de terribles tempêtes. Le paradigme en arrière-plan est très clairement la crainte, alors très à la mode au tournant de 2000 (le film Le Jour d’après en rendra également compte) de la disparition sur Terre du gulf stream, et des répercussions qui pourraient s’ensuivre.


Et comme, suivant la phrase de Hölderlin reprise par Heidegger dans le premier grand texte de métaphysique écologistes, à savoir « La Question de la Technique », « là où croît le danger, émerge aussi ce qui sauve », arrive, confirmant la légende des totémistes, tel la Gaïa latourienne sortant des abysses, Lugia. Mais ce qui marque, avec cette Gaïa japonisante, c’est sa faiblesse : Lugia sort des eaux et se fait rapidement vaincre. Elle ne peut être sauvée que par la musique traditionnelle jouée par Mélodie (oui, on aurait pu faire nom plus subtil en l’occurrence). Il faut ensuite l’intervention du héros pour rétablir l’équilibre ; j’épargne les détails d’une bataille qui m’impressionna tant que je la vie jeune au cinéma.


L’important est ce récit : un cataclysme arrive, à cause d’une technologie violant les équilibres naturels ; émerge un courant sauveur, marqué néanmoins par sa faiblesse ; les modes de vie traditionnels permettent de rendre ce courant vigoureux ; mais il faut un héros pour mener le sauvetage à bien. On a bien là toutes les forces et faiblesses d’un récit écologique : à la fin, il faut l’homme providentiel. Il est d’ailleurs tout à fait singulier que tant de personnages, au cours du long-métrage, viennent assister à la lutte (quasiment tous les Pokémon, mais aussi le professeur Chen et la mère de Sacha), mais qu’aucun n’intervienne : Sacha est systématiquement seul, mis à part le moment où la Team Rocket lui sauve la mise. (Car, comme souvent dans les films Pokémon, Jessie et James sont les véritables héros secondaires du récit ; mais c’est un autre problème.)


Vous me direz que ce genre de récit n’est lié qu’à des faiblesses narratives : l’arrivée des Pokémons comme celle du Professeur Chen ne sont sans doute là que pour meubler quinze minutes et justifier que celui-ci puisse passer au cinéma, n’étant alors pas considéré comme moyen-métrage. Vous me direz que cela colle avec l’ineffable faiblesse des dialogues. Bien sûr, bien sûr. Mais voilà tout de même ce que nous dit ce film : le collectif ne mènera à rien pour sauver la planète. Le collectif, c’est la masse passive qui vient parce qu’elle sent qu’elle pourrait aider, mais qui une fois sur place ne sait pas comment aider. La masse de Pokémon autour des îles évoquent ces grandes grèves et manifestations suivies d’aucun effet. Non, ce qu’il faut, nous disent les scénaristes, c’est un jeune homme seul qui prenne les commandes et sauve le monde seul.


Récit certes traditionnel, attendu, mais qui prouve bien que même quand on souhaite produire une fable écologiste, on revient à des schémas que toute théorie écologiste récuse. Créer un récit véritablement écologiste, où ce serait le collectif qui permettrait de sortir d’une crise, relève de la gageure. Le travail reste encore entier.

Clment_Nosferalis
5

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le 9 oct. 2021

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