Passion, Couple, Doute, Maternité, Travail, Photographie : Un diptyque narratif sur l'apnée d'une femme aimante étouffée par la protection, aveugle et amoureuse, de son concubin et père de son enfant, ou comment Plonger interroge la pérennité d'un couple en prise à la routine et à ses barrières tant géographiques que mentales. Entre plonger pour renaître et plonger pour faire son deuil.


C'est la deuxième adaptation d'un roman pour Mélanie Laurent. Plonger est adapté du livre éponyme du journaliste Christophe Ono-dit-Biot publié en 2013. Une construction narrative relativement simple et réaliste. La trame se concentre sur deux personnages principaux : Paz, photographe et César, journaliste. César, marqué par son enlèvement au Yémen il y a de ça plusieurs années, voit son traumatisme remonter à la surface lorsque sa compagne Paz lui annonce qu'elle veut y étendre son projet photographique. Malgré les tentatives de passer outre cette routine casanière et la naissance d'un enfant, le cap pour le couple est dur à maintenir et Paz décide de jeter l'ancre, seule, au Yémen. César, quant à lui continue d'élever seul son enfant, quand il n'est pas au travail, jusqu'à qu'il soit contraint de plonger, tête la première dans la fuite de sa femme à Sanaa.


De manière purement subjective, ce troisième long-métrage de la réalisatrice Mélanie Laurent, présente plusieurs obstacles à une immersion totale dans le récit. Cet esthétisme, fort louable, présent tout au long de la démonstration filmique peut, par son abstraction parfois contemplative et son manque d'intensité, perdre le spectateur. Un déséquilibre qui ne permet pas une respiration correcte de l'observant. Les quelques redondances de narration et surtout certaines niaiseries de dialogues, peu crédibles peuvent alourdir le propos visant pourtant la finesse : la périclitation des liens intimes/interpersonnels et la difficile conjugaison des sphères du travail, de l'intime et de l'épanouissement individuel au sein de la grammaire du couple. Ces défauts liminaires restes minoritaire face à la puissance évocatrice du film.


Ce qui frappe d'emblée lors du visionnage, c'est l'importance qu'accorde la réalisatrice à l'esthétique de son travail. Ainsi, à l'instar de Paz, son personnage principal féminin, Mélanie Laurent travail chacun de ses plans avec une précision photographique et un souci apporté au cadrage et à la lumière. C'est une "lumière narrative" (Julia Ducournau, réalisatrice de Grave), aussi importante que le cadrage.


C'est d'abord par le cadrage que la distance progressive entre les personnages se fait ressentir : la raréfaction de plan moyen sur le couple au profit de plan moyen plus individuel, voir franchement ségrégationniste. Symbole que les deux amants ne se comprennent plus. Encore une fois, c'est par le cadrage que le sentiment d'étouffement et de doute qui en découle s'expriment de la manière la plus frappante, plus encore que par les dialogues. Paz, mais aussi César dans une moindre mesure, sont littéralement écrasés et comprimés par le cadre. Un plan marquant : Après l'accouchement de son enfant, Paz encore à la clinique est proche de la fenêtre à droite du champs presque hors-champ. Elle est franchement dominée/écrasée par un mur blanc qui occupe la quasi totalité de l'écran. Une symbolisation on ne peut plus visuelle de l'enfermement auquel sera soumise cette nouvelle mère au foyer. Un sentiment d'autant plus fort de confinement au regard du contraste de leur appartement parisien avec les imposants paysages et les plan d'ensemble visibles à leur rencontre.


Paz est alors encline à un doute lancinant et de plus en plus systématique. Un questionnement du personnage de plus en plus visuel également. On constate une multiplication/intensification de plans désaxés ou du moins dont la prise de vue est inhabituelle où le personnage/sujet n'est plus au centre du dispositif filmique. Intéressant de noter que les rares plans-séquences placent le spectateur lui-même en situation d'incertitude. La scène où Paz quitte l'appartement, après l'insistance de son conjoint pour qu'elle y reste, semble presque "prendre de court" la caméra. Si bien que le mouvement de caméra se retrouve plaqué contre la porte, le spectateur de cette scène ne pouvant affirmer si la femme est partie ou non. Un doute cependant très vite écourté, ne permettant pas l'éclosion d'un surréalisme mystique digne des apparitions spectrales d'Olivier Assayas dans Personnal Shopper. Toutefois, malgré l'abandon d'une chorégraphie telle dans le cadrage, Mélanie Laurent n'exclut pas l'ambition d'un symbolisation de l'absence, une illusion de l'omniprésence, cette fois par la lumière.


Premièrement, c'est la beauté naturelle et magnétique de Maria Valverde qui captive – non loin des archétypes tant physiques qu'émotionnels des muses de Pedro Almodóvar –. Une beauté évidemment travaillée et mise en scène. L'ambiance photographique, de la salle obscure, des paysages, des portraits, des galeries permet à l'esthétisme de Mélanie Laurent de ne pas atterrir comme un cheveu sur la soupe.


Une approche d'abord physique par le corps au prisme de l'une des obsessions des photographes : le nu féminin. Une nudité protéiforme (érotique, naturelle, artistique) qui en plus de conférer une épaisseur non négligeable au personnage, marque ce dernier d'une entité visuelle forte.
Cependant, c'est aussi et surtout par une approche idéelle que le personnage de Paz est mis en valeur. Le rôle joué par la couleur est fondamental. Très vite dans le déroulement du film, l'univers de Paz sera associé à la couleur rouge : Le rouge des phares qui animent la circulation parisienne, le rouge des néon d'un food-truck, le rouge du brasero de ces amis artistes, le rouge de sa chambre noire pour développer ses photographies. Par la suite, l'intelligence de la mise en scène permet à la couleur rouge de devenir la lumière-totem de Paz. La lumière remplace temporairement, de manière illusoire, cette femme. César, pour combler l'absence de sa compagne, rallume l'ampoule inactinique de son laboratoire photographique. En outre, à la toute fin du film, la lumière ne remplace plus temporairement, elle incarne. L'une des dernières scènes-tableaux du film le met en scène : César plonge avec l'instructeur Marin pour voir le requin parrainé par sa femme, la dernière chose qu'elle a vu avant son décès et laisse l'embarcation vide chapeautée par un gyrophare rouge. César remonte à la surface, le visage totalement embrassé par la lumière rouge du gyrophare : Après s'être plongé dans l'univers de Paz, César la retrouve. La couleur renforce cette attraction du spectateur pour le personnage de Paz. Elle captive la caméra car c'est le seul personnage durant la majorité du long-métrage à être exposé à une lumière autre que naturelle. Au rouge, s'ajoute le bleu, lié à la mer et par extension au requin qu'elle soutient. Cette couleur céruléenne, abyssale et hypnotique, l'obsède, altère son comportement et confirme ses doutes : Elle ne veut plus de cette vie.


Ainsi, si leur première rencontre charnelle est consommée sur les hauteurs d'une falaise, leur relation, elle, se consume dans une urbanité à ras du sol. Le décor détonne et le son renforce ce contraste. Dès lors se succède, au silence et musiques classiques des paysages grandioses de début et de fin du film, les sons d'une ville hostile et irritante : la mélodie du métro parisien l'illustre par le son d'alerte, la fermeture des portes et le crissement des roues sur les rails. A ces sonorités, s'ajoute la promiscuité citadine et ses « putin de bruits humains » (la jeune artiste interprétée par Noémie Merlant) : Paz est asphyxiée/assourdie. Par ailleurs, ces tentatives d'évasion par l'intensité des musiques hispanophones ne sera que de courte durée. C'est le dépaysement total et ses sonorités maritimes, être littéralement plongée dans un autre univers, qu'elle désire. Ainsi, encore une fois, le son à son importance car c'est le son de la radio et plus précisément l'interview de Jacques Brel, qui verbalise ses doutes : « Il y a deux manières de réagir devant ce qu'on ne sait pas : c'est de décréter que c'est idiot ou aller voir. Et je préfère aller voir [...] le talent c'est avoir envie de faire quelque chose. Mais ce n'est que cela ».


Si la caméra ne témoigne que pas un plan (très intéressant) de cet assouvissement du désir, c'est sur César que le diptyque se concentre après le départ de Paz. Progressivement et au fur et à mesure de la quête de César, son obsession s'agrandit. Ce milieu aquatique marque de plus en plus durablement le personnage tant par la durée des plans sous-marins qui s'allonge que par la durée de surdité de César à sa sortie de l'eau car il reste, même en dehors de l'eau plongé dans l'univers de sa femme.


Enfin, le discours filmique analysé au prisme de la géographie et de ses catégories confirme ce schéma général précédemment établit. C'est une mobilité vitale pour Paz : le besoin d'un ailleurs qui répond à ses passions et qui l'extrait de la routine et des censures maritales. Être immobile c'est mourir. Plus encore, le film met en regard deux régimes de mobilité, contraire : La mobilité quotidienne/pendulaire de César ; la mobilité extraordinaire/longue-durée de Paz. Ainsi pour paraphraser cette dernière quand les uns ne bougent pas, ils ont l'impression que les autres fuient.


« Une image de cinéma raconte toujours plus que ce qu'on voit » (Olivier Assayas – Filmer l'invisible, Plan Large).

Moodeye
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le 3 déc. 2017

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