In the jingle jangle morning I'll come followin' you.

Adapté du livre d'Ismael Caneppele, « Os Famosos e os Duendes da Morte », recompensé à de multiples reprises dans différents festivals (Rio de Janeiro, São Paulo, La Havane...), et acclamé par la critique, Play A Song For Me était un ovni attendu avec un impatience. Bouquet poétique sur l'incommunicabilité, le passage à l'âge adulte et le phantasmatique, il vient se classer directement dans le must-see 2011.
Mr Tambourine Man (Henrique Larré), 16 ans, fan de Bob Dylan, vit des jours paisibles dans une petite ville de campagne au Brésil où il communique avec le reste du monde via Internet. Solitaire, vivant une relation difficile avec sa mère, et souffrant de l'absence de son père, il sera troublé par l'apparition de mystérieux personnages qui le plongeront dans d'étranges souvenirs et dans un monde bien au-delà de la réalité.

Il y a des oeuvres particulièrement dures à appréhender, et Play A Song For Me en est le parfait exemple. Havre de métaphores, qui pour la plupart n'ont pas de sens immédiatement, ou simplement beaucoup trop abstraites, on se perd dans ces rêveries, et c'est là que repose tout le centre névralgique du film, les songes, éveillés ou non, d'un adolescent esseulé qui passe à l'âge adulte et se sent perdu, que ça soit dans son espace, dans ses sentiments, dans ses désirs, ou encore dans sa sexualité. Noyé dans la toile, notre protagoniste passe sa vie à animer son blog, discuter de sa mélancolie avec ses correspondants, et finalement devenir accroc à un fille qui vient de se suicider, Jingle Jangle (Tuane Eggers), et qu'il apprendra à connaître au travers d'un espace Flickr et Vimeo suffisamment vaste pour laisser un testament à qui voudra bien le consulter.
Si l'on peut se demander quel est le lien avec Bob Dylan, en particulier si l'on ne connaît que peu son oeuvre, il devient plus clair au fur et à mesure que le métrage avance, tout en restant subtil (hormis pour le titre français, qui fait partie du refrain de Mr Tambourine Man « Hey! Mr. Tambourine Man, play a song for me »). Dylan est une icône intemporelle dont les paroles ont servi d'appui à la génération sixties, mais également à quasi toutes celles qui l'ont suivi, et ce grâce à une écriture toujours intelligente de ses paroles, lui permettant de transcender les âges. Etant un inconditionnel du personnage j'éviterais autant que possible de vous faire sa biographie, surtout que cette critique n'en est pas le sujet, mais l'on se rappellera des paroles de « The Times They Are A-Changin' », particulièrement représentatives du film (puisque basées sur les temps qui changent, mais aussi les personnes, ici notre protagoniste), tout comme celles de « Mr Tambourine Man », reflétant un mal-être profond « I have no one to meet and the ancient empty street's too dead for dreaming » (Je n'ai personne à rencontrer et l'ancienne rue vide est trop morte pour rêver).
Pour le reste, l'oeuvre, nageant sans cesse dans un rêve, nous l'illustre de façon majestueuse au travers de plans séquences ahurissants et autres coups de génie artistiques, toujours dans la morosité, et qui ne seront pas sans rappeler Paranoid Park de Gus Van Sant.
Mr Tambourine Man rêve de voir un concert de Bob Dylan, il rêve de s'évader de sa petite ville, il rêve d'être quelqu'un d'autre, pour la simple et bonne raison qu'il ne reconnaît pas la personne qu'il devient, le passage à l'âge adulte pouvant parfois être très compliqué.

Bref, Play A Song For Me est une film complexe et superbe, qui aborde son sujet de façon pertinente, mais l'oeuvre descriptive qu'était le livre duquel il est adapté en fait quelque chose de particulier, dont toute l'action se situe dans les visuels, dans les plans, ou encore les regards et les non-dits. Abstrait aussi bien dans son visuel que dans sa narration, tout est sujet ici à une histoire de perception et de sentiments, ce qui, évidemment, varie d'un être à un autre.
Film de chevet pour certains et supplice sans fin pour d'autres, il est d'ores et déjà possible d'affirmer qu'il divisera le public en deux clans distincts. Un état de fait qui sera d'autant plus accentué par le trouble incertain qui est mis en place, rêve-t'il ? Est-il visité par des fantômes ? L'homme qu'il voit et qu'il voudrait être ne serait-il pas un Méphistophélès grimé en Bob Dylan ? Play A Song For Me ne serait-il pas une réinterprétation inédite de Faust ? De vagues ressemblances, c'est tout ce que l'on trouve pour tenter de décrire Play A Song For Me, qui finalement sublime et n'a absolument aucun équivalent, deux points communs avec Bob Dylan.
Il est d'ailleurs fort probable que bien qu'il dépeigne la vie d'un adolescent, ça soit surtout les plus âgés, nostalgiques de cette époque difficile, qui y succomberont.
A noter également que bien que le film se passe au Brésil, il est loin des clichés des favelas que l'on peut avoir, et hormis la langue maternelle des acteurs, il serait presque impossible d'en déterminer la provenance, argument de poids pour un export international plus aisé.
D'autres ne pourront pas passer à côté de l'ambiguïté de la sexualité de Mr Tambourine Man, très proche de son meilleur ami, évitant les filles, obsédé par un homme, filmant sa nudité et enfonçant encore plus le clou au travers d'une séquence où les masques tombent totalement — mais ceci reste encore une fois sujet à interprétation.
Pour conclure, s'il fallait tenter de définir le public qui pourrait trouver un plaisir dans cette évasion abstraite, je penserais d'abord aux amateurs du cinéma de David Lynch, ainsi que celui d'Alejandro Amenábar ou encore de Sofia Coppola, mais aussi à ceux sensibles à l'esthétique de Gus Van Sant. Ceux ne faisant pas partie de ces catégories seront ceux, qui comme je le disais plus haut, vivront un supplice sans fin.
Mention spéciale pour Ismael Caneppele, qui comme dit précédemment est l'auteur du livre dont le film est inspiré, et qui en plus de cela, en est le co-scénarise, mais surtout tient le rôle de l'énigmatique Julian, vision fantomatique et idyllique d'un Bob Dylan irréel et fantasque.

PS: A noter que le 24 mai 2011, Bob Dylan fêtera ses 70 ans, et que la sortie du film le lendemain en salles tombe à point nommé.
SlashersHouse
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le 23 mai 2011

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