« Ce n’est pas parce que nous avons couché ensemble une fois que je vous appartiens. »

« Quoi qu’il en soit, je ne puis refuser mon cœur à tout ce que je vois d’aimable, et dès qu’un beau visage me le demande, si j’en avais dix mille, je les donnerais tous. Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l’amour est dans le changement. »


Dom Juan ou le festin de pierre, Acte I scène II


Dom Juan nous a enseigné plusieurs choses : l’amour n’a d’intérêt que s’il est pluriel, tous les moyens sont bons pour séduire, et enfin : la providence a toujours raison de nous. Trois siècles plus tard, son descendant Guillaume de Burlador, mâle alpha et maître du baratin arrive sur l’île d’Anatha. Il fait beau, chaud, les oiseaux chantent, il y a des femmes. Trois femmes : Do, Clo et Jo, propriétaires et dirigeantes de l’île.


Que vient faire l’allégorie de la virilité morbide dans cet univers où les femmes gouvernent ?


Il est le nouveau précepteur de la plus jeune : Flo. Mais problème : elle n’est pas là. Les jours passent, les promesses d’une arrivée prochaine s’entassent sans se réaliser. Guillaume a donc le temps de découvrir le fonctionnement bien à part de l’île : les hommes sont en marge, les femmes vivent sans époux et gèrent elles-mêmes leur propriété. L’étonnement de Guillaume est complet :


« Les femmes ne sont pas faites pour gouverner, elles sont trop vulnérables, trop nerveuses ! »


Si son appétit de contrôle et de domination a du mal à trouver sa place, ses atouts de séduction demeurent intacts, et c’est sans peine qu’il parvient à entretenir des relations avec la grand-mère, la mère, et la fille. Guillaume jubile, satisfait de la supériorité qu’il pense avoir sur ces femmes en laissant croire à chacune qu’elle est particulière. Ce que Guillaume ne sait pas, c’est qu’il est loin d’être le principal protagoniste de la situation, la mise en perspective du regard du buste de cerf accroché dans la chambre le démontre : celui qui se croit dominant est lui-même dominé par un regard transcendant. L’ambiance devient peu à peu pesante : ses amantes ne lui courent pas après, Flo n’arrive toujours pas. L’attente laisse place à l’imagination, imagination qui se transforme bien rapidement en fantasme, d’autant plus qu’un journal intime érotique appartenant à Flo est retrouvé. C’est cet érotisme inaccessible qui provoque la chute de Guillaume, qui tombe éperdument amoureux de cette fille qu’il n’a jamais rencontrée. Sa folie le rend insupportable, ridicule. Do, Clo et Jo sont lassées, elles lui révèlent la vérité : Flo n’existe pas. Il s’est bien fait avoir. Guillaume, désemparé, révèle alors ce qu’il pense être catégorique :


« Je vous ai toutes baisées ! »


Ce à quoi, les trois femmes, impassibles, rétorquent :


« Mais non Guillaume, c’est nous qui t’avons baisé. »


Le film aurait pu se finir là. L’arroseur est bien arrosé, et découvre amèrement que les femmes ne sont pas que des êtres manipulables et passifs. Les rapports masculins et féminins sont inversés dans la sphère politique comme sexuelle. Mais Guillaume n’accepte pas cette humiliation et continue à croire obstinément que Flo existe et qu’il va l’épouser. Ce qui était la représentation de l’homme savant, séducteur et macho est transformé en une sorte de demoiselle hystérique espérant l’arrivée de son prince charmant : mythe qui resplendit à présent de ridicule. La figure d’un Dom Juan n’a plus aucun pouvoir dans un monde où les femmes possèdent la même liberté sexuelle que les hommes.


Nelly Kaplan invite à s’interroger sur les possibilités de réalisation d’une société correspondant aux valeurs féministes : cet idéal correspond-il à une domination des femmes sur les hommes ? Cette lutte peut-elle se mener à travers le domaine le plus cher à l’orgueil des hommes : la sexualité ? Le film pose aussi la question de la place que tiennent les représentations imagées des sexes. La lutte féministe ne consisterait-elle pas en la destruction d’un mythe mortifère de la virilité, au fondement même de la société patriarcale ?


Si Dom Juan fut tué par une statue de pierre envoyée par le Ciel, Guillaume de Burlador est détruit par un fantôme fantasmagorique, œuvre de Jo, Clo et Do, trois grâces sur leur île paradisiaque, cherchant déjà leur prochaine victime.


« LA STATUE. Dom Juan, l’endurcissement au péché traîne une mort funeste, et les grâces du Ciel que l’on renvoie ouvrent un chemin à sa foudre.


DOM JUAN. Ô ciel ! que sens-je ? Un feu invisible me brûle, je n’en puis plus et tout mon corps devient un brasier ardent. Ah !


Le tonnerre tombe avec un grand bruit et de grands éclaires sur Dom Juan ; la terre s’ouvre et l’abîme ; et il sort de grands feux de l’endroit où il est tombé. »


Dom Juan ou le festin de pierre, Acte V Scène 6


« C’est ainsi qu’il faut profiter de la faiblesse des hommes et qu’un sage esprit s’accommode aux vices de son siècle. »


Dom Juan ou le festin de pierre, Acte V scène 2.


Plaisir d’amour est un film malheureusement peu connu, qui mériterait d’être redécouvert et réinterrogé à travers le prisme des questions contemporaines.


Critique de Tetrapilectomie pour le blog Ciné-vrai

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le 9 févr. 2021

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