Permis de tuer reste (et restera) sans doute le plus implacable des James Bond, le plus carnassier aussi, le plus proche du cynisme et de la violence qui éclaboussent, comme un trop de giclées de sang, les bouquins poisseux écrits par Ian Fleming. C'est un fait : le James Bond papier est un connard misogyne, sans cœur et désabusé, anti-héros puant l’alcool et la clope, le foutre et la sueur, peu scrupuleux et peu recommandable.
Ces traits de caractère, pas vraiment glorieux, sont décelables dans les premiers James Bond écran, Sean Connery, au moins jusqu’à Opération tonnerre, restituant plus ou moins bien ce côté mâle dominateur et arrogant. Plus tard, la partie sombre du personnage sera ignorée au désavantage d’un héros plus mainstream et plus identifiable. Roger Moore en fera une sorte de clown toujours avec un bon mot, galant et un rien précieux. Dalton reprend le rôle et montre ce qu’il a dans le ventre avec Tuer n’est pas jouer, un presque retour aux sources.
Mais c’est véritablement dans Permis de tuer que les scénaristes, enfin, osent réhabiliter la noirceur nauséabonde des romans : cœur arraché, femmes fouettées, violées et tuées, Felix Leiter mutilé par un requin affamé, corps que l’on explose, que l’on brûle, que l’on empale, que l’on mitraille ou que l’on broie (Benicio del Toro, pour son premier rôle en petite pute fracasse, fini en lambeaux de chair après s’être fait déchiqueter par une machine infernale).
Ce qui surprend surtout dans Permis de tuer, c’est ce climat inédit pour la saga. Climat réaliste et sombre irrigué par l'obsession de la revanche et du sang. Pas de méchant mégalomane (Robert Davi, tranquille et flippant), pas de gadgets improbables ni d’intrigues rocambolesques, mais une simple histoire de vengeance à froid, rêche et impitoyable. Les scènes d’action, inhérentes au genre, sont ici flamboyantes (et magnifiées par la superbe composition de Michael Kamen), et le duel final est un incroyable monument de grandeur destructrice, poursuite apocalyptique entre plusieurs monstres de métal déchaînés se terminant en véritable fin du monde.