Derrière les apparences d'un film original et déjanté, Pauvres Créatures (Poor Things) est en fait un film affreusement classique et mièvre. Evacuons d'emblée les trois seuls points positifs du film : les acteurs, et notamment Emma Stone qui a de bonnes chances de remporter l'Oscar (sa plus sérieuse concurrente étant Lily Gladstone dans Killers of the Flower Moon), quelques scènes franchement marrantes, et une ambiance très particulière et propre à Yórgos Lánthimos.

Pauvres Créatures est film d'apprentissage assez basique. Le scénario était prometteur, puisque le film passe par d'extravagantes sinuosités pour expliquer le pourquoi du comment. Il s'agit en outre d'explorer ce que ferait une femme dans la société qui n'a absolument aucun code social : quels seraient ses ambitions, ses désirs, ses idéaux ? Mais tout ça n'est que du vernis, des apparats qui cachent la vacuité du reste de l'histoire. Bella, sorte d'adulte-enfant, va mûrir et découvrir le monde. Toutes les cases du film d'apprentissage sont cochées, entre esprit d'aventure et déconvenues. Le scénario est donc très peu original, il n'y a aucune surprise et on voit arriver la suite de l'histoire de très loin, y compris la fin très moralisante et pas très utile. Autre aspect original, l'ambiance si particulière devient vite dérangeante : on passe très vite du kitsch intrigant au kitsch vraiment dégueulasse. Bref, encore un emballage de luxe qui ne cache que la misère.

Le message du film, qui tourne autour de l'émancipation féminine, est également très lisse, et il y a finalement une seule chose à en dire. Une majorité du film (sans exagérer) tourne autour du sexe. Alors oui, la découverte de la sexualité est une étape importante dans la construction individuelle, féminine comme masculine d'ailleurs. Mais le sexe tourne à l'obsession : il y a des dizaines de scènes de rapports sexuels, et quand les personnages parviennent à faire autre chose, ils ne font qu'en parler. Au vu du message principal du film, c'est extrêmement dérangeant. C'est comme si la libération de la femme passait, non pas en grande partie, mais exclusivement par la libération sexuelle. Sujet en effet primordial, mais malheureusement pour les femmes, c'est loin d'être le seul domaine où s'exerce la domination masculine. Surtout, le scénario fait de la prostitution une activité proprement féministe, ce qui est très limite d'un point de vue moral et politique : la prostitution est au centre d'une tension entre instrument d'affirmation de la liberté par les femmes (mon corps, mon choix) et activité intégrée à une société patriarcale et soumise aux désirs des hommes. Pauvres Créatures est donc un film cynique, ce qui n'est pas un défaut en soi, mais également malhonnête. D'ailleurs, dans sa découverte de la sexualité, Bella ne fait jamais l'expérience du sentiment amoureux. Faire le parti pris qu'une femme sans code social devienne une obsédée sexuelle aussi éloignée de l'amour qu'un tabouret, c'est encore une fois lui refuser toute humanité - alors que c'est le cœur même de l'intrigue ! Est-ce un parti pris ou de la paresse ? Car filmer l'amour, ce n'est pas comme filmer un rapport sexuel : ce n'est pas donné à tout le monde.

Samji
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le 25 janv. 2024

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