Le dernier film de Jim Jarmusch est un objet déconcertant qui parvient à substituer à l'ennui du quotidien l'hypnotique marche de son personnage principal, un conducteur de bus en apparence banal qui se révèle être poète. Il écrit lorsqu'il trouve le temps de le faire, toujours au même moment de sa journée, c'est-à-dire durant le laps de temps de quelques minutes entre son arrivée au travail et le début de son service ainsi qu'à la fin de sa journée, assis sur un banc, absorbé dans la tranquille contemplation des chutes de sa ville natale.


Le film est structuré selon le déroulement d'une semaine de travail de Paterson, dont nous comprenons qu'elle est marquée par la répétition quasi-magique des mêmes tâches voire des mêmes évènements. On revoit plusieurs fois les mêmes scènes, les habitudes, les dialogues avec sa compagne, en somme, c'est un film qui parvient à nous intéresser à une routine. A ce titre Paterson est un modèle de rythme. Il n'y a pas une seule scène qui soit longue de sorte que l'on voit de la magie, de la force symbolique dans n'importe quel évènement sortant de la routine de notre poète. On en vient à voir le monde en poète, notre regard se trouve comme apaisé face à ce qui pourrait apparaitre comme la morbide répétition d'un quotidien vide. Et c'est une véritable définition du poète qui nous est donnée dans Paterson:


Lorsque Marvin dévore le fameux secret notebook, Paterson semble renoncer à l'écriture, jusqu'à ce qu'il rencontre le poète japonais en visite dans cette ville qui a vu passer tant d'écrivains (Allan Ginsberg entre autres, Jarmusch poursuit ici sa réflexion sur le rapport aux idoles et leur investissement des lieux entreprise dans Only Lovers Left Alive). Celui-ci lui confie un nouveau carnet pour le pousser à reprendre l'activité. On comprend que la condition de poète, si elle se réalise dans l'oeuvre poétique, existe en dehors de celle-ci. Le poète se définit par son rapport au monde, par sa capacité à investir le monde, pour en faire un monde ou l'on peut exister.


Il me semble que c'est un film sur le regard et le rapport que nous entretenons avec notre quotidien. En témoigne la manière, étrange certes, dont est filmé Marvin le chien, qui est littéralement le troisième personnage principal du film. Il est mis en valeur comme le serait un acteur humain et semble... exprimer des "émotions". Bref, un très beau film qui fait tout simplement beaucoup de bien... En sortant de la séance, bien qu'il ne se soit pas passé grand-chose, beaucoup de choses semblent avoir sensiblement changé.

Stevenakerfeldt
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le 3 janv. 2017

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