"I missed you."


Après douze ans de séparation, Hae Sung parvient à renouer le contact via Facebook avec Na Young (devenue Nora Moon), son amour d'enfance partie du jour au lendemain s'installer à Toronto en compagnie de sa famille, puis à New-York pour s'y épanouir en tant qu'auteure.

En un instant, leurs sentiments enfouis se ravivent derrière leurs écrans malgré les milliers de kilomètres qui les séparent. Devant nous, l'émotion retenue mais palpable de ces retrouvailles traverse l'image pour nous toucher en plein coeur par les détails les plus simples et poignants qui composent son aura irrésistible. Un regard complice échangé, un sourire de Nora, l'évocation brève d'un souvenir commun, un "I missed you" révélateur de Hae Sung auquel un autre de Nora répond de façon désarmante... Les trop nombreuses années les ayant séparés s'évaporent subitement pour se muer en trait d'union à ces retrouvailles virtuelles, auxquelles de longues conversations Skype vont succéder pendant ce que l'on imagine aisément être des semaines, des mois...

Mais, avec tous les efforts qu'elle a fourni pour concrétiser ses ambitions, Nora espère avant tout avoir la place qu'elle pense être la sienne dans son pays d'adoption et, ne voulant pas être monopolisée comme elle l'est par ces discussions qui ne peuvent manifestement pas déboucher sur quelque chose de concret, sa rationalité la pousse à y mettre un terme au grand dam de l'esprit pétri de rêves romantiques de Hae Sung. Néanmoins, la promesse d'une rencontre future devient le phare du devenir de leur lien.

Douze ans plus tard à nouveau, Hae Sung part à New-York pour enfin y revoir Nora, aujourd'hui mariée...


Cette dernière phrase sur la réunion physique tant attendue entre Hae Sung et Nora vous fait peut-être dire que vous avez tout deviné des évènements sur la tournure prise par leur relation, que le film va sans doute être une romance prévisible où il suffit de balayer les obstacles d'un revers de main scénaristique pour faire roucouler deux âmes soeurs sur un déferlement de violons dans les dernières minutes... Le premier film de Celine Song vous avait pourtant averti via son excellent prologue, en vous plaçant dans la peau d'inconnus cherchant à deviner le rapport qui relie les personnages à l'écran: "Past Lives" vous emmènera bel et bien au-delà des apparences et des jugements hâtifs pour toucher au plus près de la vérité forcément complexe des sentiments engendrés par une telle situation.


C'est d'ailleurs parce qu'il est peut-être en grande partie autobiographique que le long-métrage parvient à traduire avec une si grande puissance l'indicible du bouleversement émotionnel de son couple par une forme de justesse tout autant fragile que terrassante. La réalisatrice ayant probablement aujourd'hui le recul nécessaire vis-à-vis de son propre vécu, l'approche de ses personnages en est ici imprégnée, Nora est ainsi à la fois consciente de l'épisode existentiel décisif qu'elle est en train de vivre et fébrile à l'idée de s'y laisser perdre alors que Hae Sung, lui, se confronte à des espérances dont il connaît au fond de lui le potentiel destructeur si elles n'avaient pas la chance de se concrétiser.

Ces retrouvailles sont donc celles de deux êtres placés sur la corde raide, avançant à tâtons, dans le dénuement total face à quoi ils se retrouvent submergés, accompagnés de leurs propres interrogations sur ce qui pourrait en être les conséquences -d'autant plus que, du côté de Nora, s'y ajoutent la question des répercussions sur son mariage et ce que Hae Sung peut réveiller chez elle de ses racines sud-coréennes avec lesquelles elle a rompu il y a fort longtemps.

Enfin, dans cette équation vibrante où l'inconnue est totale, se glisse justement le personnage ô combien tout aussi réussi du mari de Nora, Arthur, bien entendu désemparé par les évènements, vivant soudainement sa plus grande crainte (exposée lors d'un face-à-face nocturne par des dialogues à la finesse on ne peut plus touchante) pour devenir malgré lui un spectateur de quelque chose sur lequel il ne peut avoir aucun contrôle.


À l'intelligence d'écriture pour aborder ces interrogations sentimentales sous un angle profondément humain et réaliste, dépouillé de toute mécanique artificielle, répond une mise en scène au diapason, où, notamment, un remarquable jeu de cadrage vient sans cesse amplifier la bulle intime reformée par son couple lors de ce séjour new-yorkais tout en en éliminant ceux qui ne peuvent surpasser la force de ce qui s'y vit.

Outre une subtile B.O. et une interprétation complètement en harmonie avec la direction de l'ensemble (quel trio d'acteurs !), "Past Lives" nous met définitivement à genoux avec sa dernière partie, un sommet tout bonnement sidérant de toutes les qualités qui nous avaient séduit jusqu'alors, nous laissant aussi dévastés que ses protagonistes, dépassés par une charge émotionnelle mise en scène à la perfection, et nous emportant sans mal, le cœur à vif, dans un torrent de larmes au moins aussi important que ce qui transpire à travers les regards de Hae Sung et Nora lors de ces ultimes instants...


Si le In-Yun souvent évoqué par le film, cette chance de recroiser l'être aimé d'une précédente vie sur sa route, devait devenir cinématographique, nul doute que notre rencontre avec "Past Lives" s'y apparenterait fortement.

Un des grands films de 2023.

RedArrow
9
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le 15 févr. 2024

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