Il est toujours difficile, et en même temps il faut l’avouer, délectable de parler de films à scandale. Difficile car cela nécessite évidemment de prendre des pincettes, de reposer l’éternelle question de la dissociation entre l’œuvre et son parcours public si ce n’est ses intentions, de savoir prendre du recul, en somme. Cependant, cela peut aussi être un vrai plaisir, car ces films qui posent des questions incisives, voire promptes à déranger le spectateur, peuvent, et les exemples ne manquent pas, créer (n’ayons pas peur des mots) des préavis à la limite du réactionnaire. Et quel que soit la qualité du film, il me paraît toujours important, intéressant, et dans mon cas je l’avoue un peu jouissif, de remettre à sa place celles et ceux jugeant une œuvre d’art à l’aune de son marketing. Pas de vagues fait partie de ces œuvres là, calomniée sur la base d’une bande annonce et son propos de fond présumé, autant vous dire qu’à ce niveau, la polémiquette n’est en réalité pas des plus intéressante bien qu’elle mette en exergue l’urgence du thème évoqué par le réalisateur, et qui ironiquement, critique au sein d’un milieu scolaire (et social) défavorisé, les ragots et quiproquos.



Pas de vagues est le troisième film de Teddy Lussi-Modeste, réalisateur, scénariste mais aussi… prof. Un métier qui le passionne pour ce qu’il a à apporter mais duquel il a de nombreuses fois dû faire face à de plus ou moins graves déconvenues, dont une fausse accusation d’harcèlement sur une de ses jeunes élève qui démarre le parcours du protagoniste du long-métrage. Un film inspiré d’une histoire vraie ? Pas vraiment, tant ce tampon marketing n’est rappelé qu’à la toute fin, dans le but de ne pas manipuler le spectateur, mais surtout, car si son point de départ issu du vrai témoignage du metteur en scène, son développement est une pure fiction, ou plutôt, se veut être une analyse de la situation et de l’engrenage dans lequel se coince le protagoniste, Julien, face à un système scolaire de moins en moins sécurisant pour ses enseignants. Pas loin du cri du cœur, Pas de vagues est donc avant tout une alarme, un vrai film social qui prend à bras le corps ses thématiques afin d’alerter ses spectateurs, plutôt que de s’épancher sur l’ambiguïté entourant cette accusation. Une accusation qui n’a en réalité rien d’ambiguë, le film assumant de bout en bout l’innocence du personnage de François Civil, et s’intéressant donc plutôt aux répercussions liées à cette calomnie dans la vie du personnage, ce qui permet par la suite d’explorer divers problèmes liée au système scolaire contemporain français. En plus d’être le titre du film, Pas de vague c’est le nom d’un hashtag utilisé par divers enseignants pour témoigner sur les réseaux de leurs conditions de travail, témoignages jusque-là balayés par leurs supérieurs via cette figure de style. A vrai dire, le thème du harcèlement sexuel n’est qu’un prétexte, pour raconter une histoire bien plus intime, créer un point de vue social mais aussi de cinéma, s’éloigner d’un sentiment de film à tract, mais surtout, créer le portrait d’un personnage. Un peu comme dans Avant que les flammes ne s’éteignent l’année dernière (pour rappeler un autre film à polémiquette), le sujet de départ sert en réalité à créer un drame humain qui intéresse bien plus le metteur en scène, au point de conclure, comme ici, son film de manière ouverte, frustrante certains diront, mais totalement cohérente par rapport à ce qu’il essaye de raconter du métier d’enseignant. Cependant, si l’intention est louable, et même correctement traitée, ce traitement n’est justement, pas des plus subtile et reste, dans les grandes lignes, assez attendu et caricatural. Il a beau il y avoir une certaine authenticité dans ce duel permanent entre un prof et ses élèves, autant par rapport aux accusations que son désir de créer du savoir, bref, dans ces scènes de classe, dans le scénario pur et dur, Pas de vagues se heurte justement à son désir de raconter une histoire bien ficelée. Personnages créant de la pressions, détails anodins qui prennent une dimension plus problématique et même quelques retournements de situation, Pas de vagues perd en efficacité et prend bien moins à la gorge son spectateur dès le moment où il souhaite en faire plus, devenir une vraie fiction, un pur thriller, dont le plus gros défaut est d’être carré et efficace ; manquant selon moi alors beaucoup de singularité. En tout cas surtout, le plus dommageable à mon sens, c’est sa manière de traiter certains sous-thème, du rapport au rectorat à la question du groupe, de ces collègues votant pour, puis contre le protagoniste, etc, tout a déjà été creusé, la formule apparaît comme rincée, efficace, mais quelque peu fade et sans profondeur au-delà d’un constat proprement banal, avec pour incarnation des figures antagonistes caricaturales, des personnages adultes creux et inconsistants.



Malgré de vrais soucis d’écriture dans sa forme donc, l’une des artistes derrière Pas de vagues a, je pense, su y insuffler une certaine maîtrise (bien que là encore, très classique) sur le traitement de ses personnages principaux mais surtout, sur l’épineuse question de la libération de la parole des femmes. Audrey Diwan donc, scénariste des films de Cédric Jimenez, mais surtout récemment césarisée pour L’amour et les forêts et réalisatrice du magistral L’événement ; bref deux films anti-féministes comme vous aurez pu le remarquer. Pour en revenir à la polémiquette justement, beaucoup arguaient que Pas de vagues pourrait faire reculer la libération de la parole de femmes, en justifiant que le film donnait une mauvaise image des plaignantes, qu’on réduirait à des menteuses. Pourtant, ce que le réalisateur et sa coscénariste montrent avec ce film, c’est que le phénomène de libération de la parole des femmes est, qu’on le veuille ou non, une brèche pour des élèves opportunistes, les railleurs d’hier utilisant ce symbole fort sans en mesurer l’étendue des conséquences. Leslie, la prétendue victime de ce harcèlement sexuel est en réalité elle-même victime de la situation, d’un réel harcèlement scolaire mais aussi et surtout, d’une pression sociale qui la forcent elle-même au silence, à ne pas faire de vagues. Elle est souvent absente des plans, malgré que sa voix et son visage craintifs hantent la pellicule, cependant, presque à chaque fois où on la verra, elle restera mutique, laissera la situation couler, ne fera pas de vagues ; jusqu’à deux scènes où en osant prendre la parole, elle délie enfin la situation, malgré qu’il soit pourtant trop tard. En bref, les auteurs du film traitent ce personnage avant tout comme une victime, non pas de ce prof, mais de sa propre bêtise, de celles de ses camarades, et n’ayons pas peur des mots, de l’hystérie autour d’un sujet toujours très sensible qui l’a fait se renfermer sur elle-même. Leslie incarne assez bien l’échec du système scolaire français à plus d’un titre, le premier étant de permettre à ces élèves de s’épanouir, quand ici, ils se renferment dû à une pression familiale, sociale et scolaire justement, laissant au dépourvu Julien, qui dans un échange de regard compatis en la détresse de cette jeune fille. Et justement, on en arrive à ce fameux protagoniste, incarné par François Civil, un jeune cadre dynamique, plein de ressources, d’idées, d’amour pour ces enfants et du métier d’enseignant, mais qui va justement voir sa personnalité enjouée être mise à mal par l’engrenage infernal du long-métrage. Une injustice qui va mettre à mal son caractère léger, son envie d’être ce prof qu’on oublie pas et qui change une vie, pour totalement sombrer dans ses contradictions, devenant dans son comportement l’ombre de lui-même ; d’encore plus incarner l’échec du système scolaire français dans les milieux populaires. Surtout, là où le personnage gagne en intérêt, c’est avec son acteur, François Civil, LE boy-scout du cinéma français, l’acteur bankable, jeune, plein d’énergie, l’idole des plus jeunes, etc. Prendre une figure aussi lisse et amicale pour la tordre, jouer avec cette image plutôt que de partir dans un total contre-emploi c’était selon moi une excellente idée. Cependant, si son jeu est par moment authentique, il reste la plupart du temps dans un registre très Hollywoodien à mon sens, dans la performance même. On en revient un peu à ce problème du scénario qui se veut très écrit, et ici, on a un acteur plein de bonne volonté qui veut montrer son dévouement pour ce rôle. Problème, je sens dès lors un acteur jouer, François Civil dépasse Julien plus que d’en rentrer en symbiose, et si ça n’est pas dérangeant outre-mesure, cela marque une vraie limite dans la profondeur de Pas de vagues. D’autant que son personnage offre un arc très écrit donc, mais thématiquement assez riche, nuançant son parcours et sa descente aux enfers, le montrant tout d’abord assez confiant dans la situation, stable même, puis totalement désorienté et sous pression, avant de parvenir, dans un 3e acte assez prenant, à créer un faux arc de rédemption. Je n’en dirai pas plus pour ne pas divulgacher l’intrigue, mais il me paraît bien trouvé de montrer un personnage pendant de longs moments rabaissés, commencer à reprendre tellement confiance en lui qu’il en fait pâtir son entourage, quitte à dans une scène finale assez pessimiste, ruiner son attachement avec ses élèves, le laissant créer tout seul les vagues qui l’ont consumé.



Pour finir, un point que je n’ai toujours pas évoqué sur Pas de vagues, c’est la mise en scène, et il faut être honnête, ça me paraît bien normal tant cette dernière n’est pas absente, mais très épurée. A l’exception de quelques plans, rien de très sophistiqué, la lumière et photographie donnent un rendu assez blanchâtre, grisé et lisse, seule la musique et le travail sonore général appuient réellement une dimension de tension et de suspens, pour un résultat qu’on pourrait facilement qualifier de quelconque. Pour autant, au-delà du travail de composition il y a un point que Pas de vagues travaille assez intelligemment c’est son montage. Plus que par la coupe, c’est vraiment dans la durée plus étendue de nombreux plans que Teddy Lussi-Modeste créé les moments les plus frappants de son film, ceux où le malaise prend le dessus sur une tension plus commune ; et surtout où vient frapper au visage du spectateur le sentiment qui transperce le personnage de François Civil, la peur, son sentiment d’insécurité de plus en plus permanent. D’une simple menace de mort, le réalisateur fait passer un dialogue expiée sous le poids de la colère à une réelle pression pas forcément constante, mais vraiment frappante. Ces passages où François Civil sort de l’établissement en compagnie de ses collègues, que la caméra le suit, de loin, sortir du cadre (scolaire) en faisant oui ou non surgir une menace, ce genre de moment qui justement sort du strict ô sensu scénario pour des moments simplement vrais et sans esbroufe, voilà le genre de fulgurance dont le long-métrage est capable. Le hors-champ lui aussi, bien qu’utilisé de manière assez basique permet de vraiment s’immerger dans la pression de plus en plus insoutenable subie par Julien, et à davantage créer de l’empathie envers son personnage de plus en plus brisé par la situation ; jusqu’à un vrai climax, une crise où tout explose, comme un ballon tellement gonflé qu’il finit par éclater. En bref, Pas de vagues singe bien le cinéma scolaire, dans les deux sens du terme, en captant l’énergie et la vie d’une salle de cours ou d’un établissement, mais en restant dans les carcans, la base de la mise en scène malgré quelques fulgurances. On sent d’autant plus que c’est ce contexte scolaire qui intéresse Teddy Lussi-Modeste, tant la banalité de son cadre se fait bien plus ressentir quand il décrit la vie amoureuse de son protagoniste ; n’ayant même plus pour lui une narration au cordeau bien accompagnée par des choix de composition efficaces mais peut-être trop simples pour marquer outre-mesure.



Les trois points évoqués résument assez bien le constat qu’on peut faire sur Pas de vagues, c’est un film avec des intentions louables, mais pas que, surtout un développement du fond assez pertinent et prenant, cependant caché par une forme beaucoup moins singulière, plus propre et moins puissante. Un cri du cœur étouffé donc, qui recèle cependant de vrais intentions de cinéma qui dépassent le cadre de l’idée en grande partie grâce à la prestance des élèves, de François Civil, et l’efficacité tout de même notable de sa mise en scène. Une chose est sûre, c’est qu’il me paraît difficile de sortie de ce long-métrage sans se poser de question sur notre rapport au système scolaire et aux récents mouvements féministes, bien que ce dernier ne creuse pas aussi profondément qu’espéré ces vastes sujets tout de même finement traités.

PS : je n’ai pas pu parler de la performance de Mallory Wannecque (qui a par ailleurs été choisie par le réalisateur avant d’avoir vu le superbe Les Pires), mais cette actrice a un vrai talent à suivre de très prêt, et ici, elle joue à merveille la pétasse du collège, le genre de nana dont la superficialité et le je m’en foutisme peuvent créer des situations aussi comiques que tendues.

Vacherin Prod

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