Pacifiction - Tourment sur les îles par jean-taulier

On regarde Pacifiction comme si on voyageait. Dès le premier plan avec ses lumières, sa lenteur, son bruit distinct mais qui parait lointain, en même temps cette sensation de mollesse, de détachement, comme si on était fatigué, en plein décalage horaire, l'impression d'être là mais de ne pas vraiment avoir l'impression de comprendre ce qui se passe ou d'en être assez détaché, de prendre les évènements mollement parce que de toute façon ce n'est pas chez nous et qu'on voyage. Et c'est cette atmosphère qui est présente tout le long du film. L’impression d'être loin, d'être embrouillé, car tout le film joue avec nos sens, la lumière, la composition, le bruit, on a du mal à avoir l'impression d'être présent, d'être là dans la scène, et donc on comprend ce qui se passe, mais on a l’impression d'être un peu loin, on se sent comme un étranger qui voyage, on est un peu embués. Même les scènes de boite de nuit, qu'Albert Serra étire à la fin, on se retrouve là, à fixer ce qui se passe de manière un peu distante, comme si on était étranger, comme si on ne comprenait pas, mais en même temps on est fascinés, ça ne choque pas, ça ne gêne pas parce qu'on est comme dans un état second. Et plus ça dure, plus ça s'étire, plus on ressent cette sensation de distance, d'esprit endolori.

Rien que pour cette sensation, le film d'Albert Serra mérite le déplacement en salle de cinéma, pour être happé par ce flot pendant 3 heures et en ressortir comme si on revenait d'un voyage de six mois en Polynésie.

Mention spéciale à cette scène tout simplement grandiose sur l'eau, avec cet enchaînement de vagues immenses et ce microcosme minuscule de surfeurs et de bateaux qui jouent avec, est bringuebalé avec, et on a ce va et vient de l'eau et des hommes, ce bruit de l'eau et des éclaboussures qui donne vraiment l'impression au spectateur d'être mouillé, on ressent vraiment cette force de la nature qu'est l'océan (qui nous parait presque étranger), et les tentatives des touts petits hommes qui tentent de s'ébattre avec elle, c'est sublime. Peut-être l'une des plus belles scènes de mer et de surf qu'il m'ait été donné de voir au cinéma. Et curieusement un vent de fraîcheur, tant elle est immersive, comme une parenthèse dans laquelle le spectateur est immergé, au milieu d'un film où il est sinon plus lointain, plus embué. Là, le voyageur un peu embrouillé qui assiste au reste du film se réveille un peu et on se sent totalement impliqué dans ce qui se passe, comme si face à la force de nature, sa beauté ou son danger jouait d'électrochoc, de réveil de l'étranger.

Ajoutons à cette atmosphère tout simplement superbe que parvient à créer Albert Serra, ce petit grain de folie qui parcourt le film, cet humour un peu farceur, ces dialogues ciselés, ces personnages énigmatiques, et on a vraiment avec Pacifiction l'un des plus beaux films de l'année. Reparti injustement bredouille de Cannes.

jean-taulier
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le 22 janv. 2023

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