Le beau souci des Straub

"Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage". ( Nicolas Boileau )

Cent minutes durant le spectateur suit les Straub au travail, le couple révisant, visionnant et revisitant l'un de leurs nombreux métrages ( le très sicilien Sicilia ! ) ; tous deux penchés sur leur table de montage Straub et Huillet s'évertuent à reconstruire le rythme de leur film avec une inédite perfectibilité, cherchant le raccord ad hoc, la coupe idoine, le photogramme idéal. De l'idée à la forme il n'y a - pour le duo de cinéastes - qu'un pas : celui d'une matière qu'il faudrait en permanence apprivoiser, maturer et finalement interroger à chaque instant.

Entre les excentricités parfois proches de la posture ou du m’as-tu-vuisme de Jean-Marie Straub et les accès d'aigreur de l'intransigeante Danièle Huillet ce documentaire d'expertise artistique, jamais loin du work in progress, réserve de curieux moments d'incongruités et de comédie faussement involontaire. La croustillante cuistrerie dudit couple parvient malgré tout à nous inspirer une étonnante sympathie, tant l'absence de compromis et de consensus créateur demeurent palpables à chaque réflexion, chaque inflexion, chaque mot nettement ponctué par Straub et sa partenaire.

Pedro Costa les filme au gré du plus simple appareil technique, ne déplaçant pour ainsi dire jamais sa caméra mais captant de véritables éclats de rigueur et d'authenticité ; il rend visible la quête désespérée d'un couple vers le montage le plus implacable qui soit, celui d'une psychologie intrinsèque aux micro-variations du plan cinématographique. Une oeuvre passionnante à voir et à analyser, nécessaire pour mieux comprendre le travail d'un tandem souvent relégué au rang du pédantisme rédhibitoire : fascinant.