Orochi
7.3
Orochi

Film de Buntarô Futagawa (1925)

Les premiers films muets japonais sont ardus à découvrir d'autant qu'il ne reste que peu de survivants. Orochi est un grand moment du muet et du cinéma de l'archipel, adulé des japonais, avec un acteur principal énorme, premier Toshiro Mifune de l'histoire, immense Bando Tsumasaburo, au style théâtral, tendu et près du sol mille fois imité. Oui, Shintaro Katsu montre-toi aussi.

Orochi, c'est donc le grand-père de tous les chambaras et de tous les héros maudits poussés à bout. Tous les thèmes forts du genre y sont déjà, avec la même brutalité mais en fait non, pas la même. Le romantisme inhérent au cinéma contemporain laisse place à la simplicité du réel et aux réactions sans ambages. Le réalisme est aussi accru par la découverte de nombreux petits faits du quotidien d'antan. Portrait d'une époque féodale, le film utilise aussi traditionnellement un benshi, un narrateur. Une voix unique conte l'histoire et les dialogues au fil des images ce qui ajoute encore à l'ambiance très singulière qui se veut aussi divertissante pour le public.

Vers 1700 sous l'ère Tokugawa, en pleine beuverie, le jeune samouraï Heizaburo refuse de remplir la coupe de son supérieur bourré :
-Hey Heizaburo, viens me servir !
- Ho je suis un peu fait là, j'ai peur de ne pas arriver jusqu'à vous...
- Comment ? Tu veux dire que ma coupe n'est pas assez bonne pour toi ?!
- Et vous, qui êtes-vous avec vos grands airs d'aristocrate ?
Répond Heizaburo...

Alors forcément, c'est le début des ennuis. Il lui arrive ensuite le pire même quand il ne dit rien. Il est accusé de tout y compris de meurtre alors qu'il n'a rien fait. Au fil de la malchance et des malentendus qui s'abattent, le démon qui sommeille en lui va progressivement exploser pour se déchaîner plus fort encore lors du final. On l'appelle le hors-la-loi. Le film aurait dû s'appeler ainsi mais les producteurs ont eu peur de véhiculer une très mauvaise image puisque Heizaburo défie l'injustice des notables et se frite à tour de bras. Le titre sera donc Orochi, "Le serpent" (pour sa façon d'esquiver les adversaires dans la bagarre).

En regardant l'acteur magistralement se métamorphoser du jeune étudiant samouraï naïf au pauvre hère jusqu'à l'écorché possédé par le démon guerrier, de nombreuses images du cinéma à venir sont distillées d'autant que plusieurs périodes de sa vie sont abordées. Non seulement, la charge contre le pouvoir perfide est déjà massive mais les obsessions de loyauté, d'intégrité, de folie, de compassion, d'espionnage aux portes, trahison, auberge, argent, jeu, geishas, réception, hôte, amour contrarié, dénuement, possession maléfique, etc, bref tous les favoris nippons sont déjà au coeur du récit.

Digression sur les bagarres parce qu'elles sont régulières, comme chez les gaulois :
50 ans avant que Misumi ne montre que les samouraïs se tailladaient à coups de sabre à la moindre occasion, le réalisateur (énorme Buntaro Futagawa aussi, ici âgé de seulement 27 ans) montre dans Orochi une lutte à la base beaucoup plus simple. Les samouraïs sont aussi des pratiquants martiaux. Heizaburo enchaîne les ippon à la vitesse de l'éclair. Le sabre n'est pas forcément toujours là, parfois on ne peut que se jeter dans le tas quand on n'est pas d'accord. On retrouve donc la ferveur des bagarres (ça y est, je sais pourquoi les bagarres japonaises c'est n'importe quoi) diablement accélérées par le nombre limité d'images par seconde, ce qui donne un aspect à première vue Benny Hill, mais qui se singularise avec la chute d'Heizaburo vers son côté obscure (En plus, y a des espèces de reverses bizarroïdes par moment j'ai eu l'impression, qui ajoutent à l'étrangeté d'Orochi) et le réalisme cru des sentiments exacerbés. Exemple, lorsque Heizaburo est poursuivi, la meute à ses trousses piétine un des leurs pour montrer qu'ils ne sont plus contrôlables. Imaginez des policiers piétiner un des leurs pendant une poursuite aujourd'hui ?...

Quant au final repris dans "The betrayal", c'est bien du gros morceau à un contre je ne sais pas combien, de dix minutes facile. Travelling arrière et en l'air sur la rue avec plan-séquence (oui je dis bien plan-séquence) sur des chorégraphies bien plus dangereuses et précises qu'il n'y paraît dans un chaos quasiment surnaturel. (!!)

Mais voilà, je me suis encore emporté à parler d'action alors qu'il y aurait surement tellement d'autres merveilles à dire sur ce film fondateur.

Je suppose qu'il faut aussi une certaine indulgence avec l'âge de la chose pour l'apprécier pleinement. La note peut donc sembler petite mais le souvenir est déjà grand.

Merci @RKM.
drélium
7
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le 18 déc. 2012

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drélium

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