“Now I am become death. Destroyer of worlds”

Oppenheimer de Christopher Nolan est un biopic efficace et très prenant. C'est un film qui vous pousse à la réflexion et vous fait voir le monde autrement. C’est moins un film proprement dit sur la bombe atomique, qu'un film sur la psychologie des protagonistes de cette période de l’histoire, avec des allers-retours entre le passé (en couleurs) et le présent (en noir et blanc) propre aux films de Christopher Nolan (sa marque de fabrique). C’est aussi, je pense, le film le plus compréhensible de sa filmographie. Et comme souvent avec Christopher Nolan, la photographie du film est magnifique.

Le scénario est vraiment bien construit pour nous amener jusqu'au test Trinity. La représentation d'une équipe de travail scientifique semble être très proche de la réalité. A savoir que le rôle d'Oppenheimer dans l'élaboration de la bombe fut somme toute relativement modeste. Alors certes, c'était un homme brillant et capable de mener des projets de grande envergure, mais ce n'était pas un surhomme à l'intelligence transcendantale. Non, il n'était "que" le chef du projet, capable de fédérer les intelligences autour de lui et de donner une ligne conductrice.

J'ajouterais aussi que c'est un film sur la création et sur la responsabilité du scientifique dans ses découvertes, poussé par le désir de créer dans des domaines qui le dépasse. C'est aussi et surtout un film politique, les méthodes américaines à l'époque étant tout aussi fascistes que ceux qu'elles combattent, modifiant les règles du droit selon leurs bon vouloir pour décrédibiliser Oppenheimer. On comprend la paranoïa des États-Unis à l'époque du Maccarthysme, ce qui est très bien restitué dans le film.

La déconstruction du temps si cher à Christopher Nolan sert parfaitement l'œuvre. La dernière heure du film est justement ma préférée. Elle recèle des numéros d'acteurs fantastiques pour Matt Damon (le général Leslie Groves), Emily Blunt (Kitty Oppenheimer), Florence Pugh, Rami Malek, Jason Clarke (le procureur Roger Robb) et Gary Oldman qui est génial dans le rôle du président Harry S. Truman (scène très courte mais hautement jubilatoire). J'ai aussi beaucoup aimé la prestation de Robert Downey Jr. (Lewis Strauss) dans le rôle du directeur du laboratoire de Los Alamos pendant le projet Manhattan puis lorsqu'il est nommé commissaire de l'AEC (United States Atomic Energy Commission) et ça fait du bien de le revoir ailleurs que dans un Marvel. A noter une belle introduction de John Fitzgerald Kennedy qui mène à la défaite du Lewis Strauss. Un mot également sur Cillian Murphy qui incarne à merveille Robert Oppenheimer. La complexité du personnage et son intériorité sont fascinantes. J'ai vraiment eu l'impression d'être à la place d'Oppenheimer quand il se fait malmener par le procureur invité par Lewis Strauss. La dynamique entre Oppenheimer/Cillian Murphy et Lewis Straus/Robert Downey Jr. est vraiment au cœur du film.

La relation entre Oppenheimer et le général Leslie Groves est également très importante dans le parcours du personnage. Tantôt en conflit d’idées, tantôt mentor dans le monde militaire, voire même dans le rôle du protecteur, un jeu de pouvoir se met immédiatement en place entre les deux hommes. Mais à la fin il y a une cassure entre eux deux, avec le militaire effrayé par le potentiel destructeur de l’homme de science. La relation entre les deux hommes se joue sur un fil, sans que ce soit surjoué. Et puis ça ajoute un regard humain à la question de la bombe.

Le moment clé du film c'est lorsqu'ils font exploser Trinity dans le désert. Christopher Nolan arrive à suspendre le temps et nous montre à quel point cet instant, où l'humanité est entrée dans une nouvelle ère de son histoire, est crucial. Avec la musique, le compte à rebours et l'usage du ralenti pour montrer l'explosion proprement dite ... c'est vraiment bien trouvé. Et concernant l'explosion qui se passe en silence, ça a une explication physique au delà de l'intérêt purement cinématographique. Connaissant le perfectionnisme de Christopher Nolan, ça ne peut pas être juste de l'esbroufe. Le son se déplace a 340m/s et ils sont tous a 19km de l'explosion. Si on calcule le temps entre l'explosion et le temps où on l'entend a travers tous les personnage, il s'est écoulé quelque chose comme une petite minute. Et puis la scène du quiproquo avec Einstein et Oppenheimer dans le parc, qui va nourrir la haine et la folie de Strauss, est purement géniale.

Je me suis passionné par la montée en puissance de la création du projet Manhattan et ensuite les deux auditions qui se font échos jusqu'au dénouement. Par contre, j'ai eu du mal à entrer dans la première heure. Beaucoup de personnages, de la mise en place un peu difficile à suivre, des enjeux pas très clairs ... plus d'une fois, j'ai failli décrocher du film. En fait, je suis vraiment rentré dans le film à partir de l'explosion Trinity et ceci jusqu'au générique. Ce n'est que quand j'ai vu le titre du film apparaître à l'écran, que j'ai pu reprendre ma respiration. Il ne faut pas être fatigué pour le voir et l’apprécier, car le film est long (un peu plus de 3h00). Je dirais que la première partie est peut-être un peu longue, mais vu le rythme, ça passe. Et puis on est happé par l'histoire, contrairement au dernier Avatar qui m'a donné l'impression de durer une éternité.

Oppenheimer c'est un film politique avant tout et sur les conséquences de la création, un film dense et éprouvant, aussi éprouvant que le JFK d'Oliver Stone (un film que j'aime beaucoup). Il parle aussi des prémisses de la guerre froide et du monde dont nous avons hérité. On ressent ce qui se passe dans la tête d'Oppenheimer et on souffre avec lui. Les passages qui s'attardent sur le maccarthysme ("la peur rouge") sont un peu redondants, je trouve, mais c'est indissociable de la création de la bombe et ça permet de monter la paranoïa des États-Unis à cette époque.

En sortant de la salle, j'étais complètement bluffé, bluffé par la réalisation de Christopher Nolan, mais aussi par l'ambiance sonore très travaillée et par le jeu des acteurs tous impeccables. Sur une thématique assez complexe et bourré de différent point de vue politique, Christopher Nolan à réussi à nous faire comprendre le contexte et les enjeux de manière extrêmement clair (malgré le nombre de personnages conséquent). J'ai vraiment adhéré à sa proposition, même la première moitié du film, que certains trouveront trop longue (et c'est pas faux). Dunkerque et Tenet m'avaient laissé un goût amer, mais Oppenheimer c'est assurément un cran au dessus.

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le 6 sept. 2023

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lessthantod

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