Sacré Jim ! Dans un monde qui brocarde de plus en plus la culture, l'intelligence, la sophistication, dans un monde qui est nettement moins rock'n'roll à chaque jour qui passe, on peut toujours compter sur lui pour porter bien haut l'étendard de NOS valeurs (les miennes en tout cas !) face à la bêtise et à l'abrutissement général. Il l'a déjà fait, et brillamment, avec "Ghost Dog" et plusieurs autres pépites de sa filmographie nonchalante, mais c'est sans doute la première fois que l'un de ses films est une déclaration d'intention aussi belliqueuse, même si - inévitablement - pessimiste et dépressive. L'univers des humains, ici qualifiés de "zombies", est une horreur, et les gens intelligents ne peuvent que se désespérer de cet abandon des valeurs intellectuelles et morales qui nous ont permis, il y a déjà bien longtemps, de briller. Marrant aussi que cette prise de position coïncide avec bien des discours sinistres de nos minables fascistes de 2015, alors que fondamentalement, elle en est aussi l'exact opposé : Jarmusch prône bien sûr comme voie de sortie la mixité des cultures (plutôt Tanger que Detroit, quand même, c'est le sens des dernières scènes), l'abandon des barrières (plutôt Eve qu'Adam, dont la supériorité arrogante ne peut conduire qu'au suicide), et au final le retour à la réalité, quels qu'en soient les risques (le vampire, pour survivre, doit accepter ses instincts et le risque de la "contamination"). Le discours de Jarmusch est puissant, et il est porté par deux interprètes parfaits et une image magnifique (quelles photos sublimes de notre monde en pleine décomposition !). Bien sûr, certains se chagrineront de la divine lenteur extatique du film, et de l'absence de réel scénario, comme si les machines hollywoodiennes avaient définitivement gagné la partie dans nos cerveaux : tant pis pour eux. Cerise délicieuse sur le gâteau : "Only Lovers Left Alive" est formidablement drôle, même si, pour en apprécier l'humour, il faut quand même un minimum de culture ! (et la boucle est bouclée). [Critique écrite en 2015]

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le 3 nov. 2015

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Eric BBYoda

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