Dire que j'attendais ce film serait un euphémisme. Normal, le réalisateur danois N. Winding Refn ayant trouvé naturellement grâce à mes yeux après des oeuvres aussi singulières que le lyrique Valhalla Rising ou le percutant et viscéral Drive. Surtout qu'à l'instar de ce dernier, Ryan Gosling rempilait avec un personnage mutique et après avoir interprété un driver incroyablement charismatique aussi touchant que bestial; je ne pouvais cacher mes espérances vis-à-vis de ce film.

Julian et son frère Billy sont des trafiquants de drogue qui utilisent comme couverture un club de boxe Thaïlandaise situé à Bangkok. Mais lorsque Billy est sauvagement massacré pour avoir assassiné une prostitué, la mère des deux frangins débarque et exige de Julian qu'il venge son ainé. 2 lignes qui résument le scénario; on est bien dans une production du papa de Drive ! Reste qu'une fois que Refn a expédié le timbre-poste où est couché le scénario, il a carte blanche pour s'exprimer et nous plonger dans son univers.

Et là, c'est la claque. LA claque esthétique que j'attendais. Une photographie dans des tons bleus et rouges d'une beauté époustouflante qui confère aux environnements un cachet presque surréaliste, les décors fourmillent de détails qui attirent l'oeil, les jeux de lumière et d'ombre sont savamment distillés mais incontestablement parfaitement maitrisés; le tout accouche d'une atmosphère poisseuse qui titille un psychédélisme que n'aurait pas renié un certain Lynch. Une merveille.

Le paragraphe précédent concernait principalement les scènes en intérieur mais celles en extérieur ne sont pas en reste. Refn réussit à capter la face sombre de Bangkok. Une image bien loin de celle des cartes postales pour attirer le touriste en quête de découvertes. Ici tout est crasseux, lourd, sombre et froidement réaliste. Les basfonds d'une ville où le touriste n'aimerait pas s'égarer. Ces scènes sont réussies et contrastent brutalement avec l'esthétisme léché et calculé de celles en intérieur.

Mais que serait un film de Refn sans une icône pour le porter ? Tom Hardy, Mads Mikkelsen et Ryan "driver" Gosling portaient leur film à eux seuls. Et ici, bien que Ryan Gosling réussisse encore la prouesse d'assurer un rôle mutique sans nous en écoeurer, il échoue malheureusement à captiver le spectateur comme il l'avait admirablement fait dans Drive. Son personnage passe bien à l'écran mais il ne dégage rien. Il est amorphe. Sans consistance. Sans âme. Vide. Mort.

Contrairement à Drive, aucune empathie ne nait pour lui. Il n'évolue pas. Il subit. Il est instrumentalisé par Refn au même titre que les éléments du décor mais force est d'admettre qu'a contrario ces derniers sont à leur place. Eux. Ce coté effacé pourrait s'expliquer par le personnage de Kristn Scott Thomas; véritable mère castratrice qui favorise un partage inique de son amour maternel et entretient les affres d'un réel concept d'Oedipe. Les retrouvailles Gosling-Thomas filmés en plongée coupant court au moindre doute sur la question.

Mais à mes yeux cela ne légitime pas la vacuité émotionnelle dégagée par Gosling. Là où le driver placide évoluait subtilement, Julian stagne et se perd dans les méandres de l'univers orchestré par Refn sans jamais réussir à s'en extirper ne serait-ce que momentanément. Cela lui coute logiquement le rôle phare du film. Et c'est naturellement Vithaya Pansringarm et son personnage de flic-sabreur-vengeur-karaokéman qui attire la lumière à lui. Et avec classe et sérénité je vous prie.

Enfin, Refn achève son oeuvre à travers une mise en scène savamment étudiée. Scènes de violence alternant gros plan et hors-champs, travelings en plongée et contre plongée, slow motion, fondus; toute la palette y passe pour nous permettre d'apprécier le travail d'orfèvre réalisé sur les environnements (notamment en intérieur). Chaque scène a été peaufinée dans les moindre détails et rien n'a a été laissé au hasard. C'est un réel plaisir pour les yeux et un incroyable voyage dans l'univers de Refn.

Or c'est peut-être ce voyage si singulier qui rebute bon nombre de spectateurs. Pour avoir vu le film en compagnie de 4 proches (/on était 6 en tout et pour tout dans la salle), les réactions ont été franches et tranchées. La plupart n'ont pas compris le film. Ils n'ont pas accepté d'être lâchés dans un univers qui n'est pas le leur. Dans un univers sans code ni fil conducteur pour les guider. Cet univers ce n'est pas le mien non plus. C'est celui de Refn et il n'appartient qu'à lui.

Il ne faut pas essayer de s'opposer à la vision du réalisateur. Refn nous offre un produit singulier qu'il a réalisé avant tout pour lui. C'est sa conception du cinéma et de l'art. Résister à cela n'a aucun intérêt. Il faut se laisser porter et naviguer dans les courants d'une pensée qui nous est étrangère. Bien entendu l'égout et les douleurs ça ne se dispute pas mais quand on me dit en fin de séance "tu ne peux pas cracher sur Transformers et dire que tu apprécié ce film", il est indéniable que ce film, plus que les précédents (hormis peut-être Valhalla), laissera pas mal de monde sur le bord de la route...

Au final Only God Forgives est une oeuvre dans la lignée de la filmographie de Nicolas Winding Refn. Qu'importe l'univers pour lequel il opte, il parvient à l'accaparer totalement, le broyer, le disséquer et le recracher sublimé selon sa vision si particulière. Vision avec laquelle il faudra cohabiter sous peine de la subir péniblement et d'avoir une irrépressible envie de quitter la salle. Moi j'en veux encore ! Et si possible un petit film de Science-Fiction avec, pourquoi pas, Mads Mikkelsen errant dans l'infini de l'espace !

[ E D I T * ]

A l'origine, j'ai attribué 8/10 à Only God Forgives soit la même note qu'à Drive et Valhalla Rising. Or cela fait maintenant 4 jours que j'ai découvert OGF et l'euphorie est un poil retombée. Je ne peux pas mettre ce film sur le même pied d'égalité que les deux précédentes oeuvres de Refn. La faute au personnage de Ryan Gosling qui est bien plus décevant que le driver ou le viking. De ce fait, je passe la note à 7/10.

[ E D I T * ]

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le 11 juin 2013

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MarlBourreau

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